Quelques réflexions sur une déclaration de Daniel
Cohn-Bendit, selon laquelle il a été « apatride jusqu’à l’âge de 14
ans »
Classement : people ; apatridie
Sommaire de la page
*J'ai été apatride pendant quatorze ans (déclaration de Daniel Cohn-Bendit)
*Approximations et contradictions (analyse de cette déclaration)
*Un lieu commun médiatique (quelques occurrences du thème « Daniel Cohn-Bendit apatride »)
J'ai été apatride pendant quatorze ans (déclaration de Daniel Cohn-Bendit)
La proclamation d'apatridie est en fait un lieu
commun du discours de Daniel Cohn-Bendit ; par exemple au cours d'un entretien
récent avec Alain Finkielkraut (Le Monde, 1er février 2014), il dit :
« Je suis né en 1945, alors que mes parents étaient
cachés en France en raison des persécutions antijuives. J'ai été
apatride pendant quatorze ans, puis j'ai choisi la nationalité allemande
pour ne pas faire mon service militaire. »
Approximations et contradictions (analyse de cette déclaration)
Si on l'examine, on décèle facilement quelques problèmes.
1) « Je suis né en 1945, alors que mes parents étaient
cachés en France en raison des persécutions antijuives. »
Daniel Cohn-Bendit est député européen ; sa page sur le
site du Parlement de Strasbourg indique qu’il est né le 4 avril 1945 à Montauban (ce qui est confirmé par le service de l'état civil de Montauban).
Début avril
1945, cela faisait un peu plus de sept mois que la région de Montauban avait
été libérée (vers le 20 août 1944) et que ses parents n’avaient plus besoin de se
cacher. Je comprends très bien que leur situation n’ait rien eu
que de stressant, pour le moins, de juin 1940 à août 1944. Mais ce n’est pas
une raison pour s'attribuer une naissance dans la clandestinité.
Cette approximation n’est pas très importante ; elle
montre cependant que Daniel Cohn-Bendit ne s’est pas astreint pas à la recherche
de l’exactitude maximale, qu’il s’est laissé aller, sans peut-être s’en rendre
compte, à un petit arrangement avec la réalité.
2) « J'ai été apatride pendant quatorze ans, puis j'ai
choisi la nationalité allemande pour ne pas faire mon service militaire. »
Cette phrase est plus inquiétante : on n’est plus dans
l’approximation, mais dans la contradiction.
Je suis persuadé en effet que
beaucoup d’apatrides des années 1920 auraient été heureux de pouvoir
« choisir la nationalité allemande », à quelque âge que ce soit. A mon avis, le fait de pouvoir choisir une nationalité implique qu’on
n’est pas apatride.
La deuxième partie de la phrase renforce les doutes. Pour
quelle raison était-il donc menacé de « faire [son] service militaire » ?
Il n’est pas difficile de comprendre l’ellipse : cette menace se serait
réalisée s’il était devenu français, tandis qu’en Allemagne, le service
militaire n’était pas obligatoire (point à creuser, du reste).
Mais pourquoi un « apatride » aurait-il été obligé
de devenir français ? Si Daniel Cohn-Bendit était, à l’âge de
14 ans, sous la « menace » de la nationalité française et (à moyen terme évidemment) de son service militaire, c’est tout simplement qu’il
n’était pas apatride.
Je pense que beaucoup d’apatrides de l’entre-deux-guerres auraient fait deux fois leur service militaire en France en échange de la nationalité de ce pays.
En fin de compte, à partir de sa déclaration, confuse et incomplète, on peut rétablir une certaine
cohérence : selon toute vraisemblance, Daniel Cohn-Bendit avait, vers l’âge de 14 ans, la possibilité de choisir entre deux nationalités (j'étudierai ultérieurement les dimensions juridiques précises de ce choix) : je
ne crois pas qu’il soit légitime de penser cette situation comme une
« apatridie ».
Mais, s’il n’était pas apatride à 14 ans, peut-être l’avait-il été dans ses premières années ? Et, dans ce cas,
jusqu’à quel âge ? Pour répondre à ces questions, il faut chercher des
renseignements plus détaillés sur les premières années de la vie de Daniel
Cohn-Bendit, que j’évoquerai sur une autre page.
Un lieu commun médiatique (quelques occurrences du thème « Daniel Cohn-Bendit apatride »)
Le regroupement de Ben Laden, Cohn-Bendit et Einstein dans la catégorie « apatride » relève d'une sorte de plaisanterie, genre que pratiquent parfois les journalistes en mal d'inspiration pour faire croire qu'ils ont un talent littéraire inexploité.
Autres exemples
*14 avril 2018, JT de 20 h de France 2, entretien entre Thomas Sotto et Daniel Cohn-Bendit (dans ce cas, l'émetteur du lieu commun était le présentateur).
Un lieu commun médiatique (quelques occurrences du thème « Daniel Cohn-Bendit apatride »)
La requête « Daniel Cohn-Bendit apatride » donne sur Google une abondance de résultats, dont certains correspondent à un usage métaphorique du mot (j'y reviendrai ultérieurement).
Mais on trouve aussi un usage réaliste, par exemple sur cette page numérisée de L’Express (11 septembre 2010) :
Mais on trouve aussi un usage réaliste, par exemple sur cette page numérisée de L’Express (11 septembre 2010) :
« Qu'ont en commun Oussama ben Laden, Daniel Cohn-Bendit et Albert Einstein ? Ils sont ou ont été des apatrides. Le fondateur d'Al-Qaeda a été déchu de sa nationalité par l'Arabie saoudite, à la suite des attentats du 11 septembre 2001; le fondateur d'Europe Ecologie s'est passé d'un Etat d'appartenance jusqu'à l'âge de 14 ans avant de devenir allemand; le scientifique, lui, a volontairement abandonné la nationalité allemande*. »
Note à propos d'Einstein (30 août 2018)
Contrairement à ce que je pensais, Pierre Gastineau se réfère non pas à la période nazie (Albert Einstein a été déchu de la nationalité allemande le 29 mars 1934 ; son nom apparaît dans la liste 2 des déchéances prononcées par le régime nazi, voir la page A propos d'un livre sur les déchéances de nationalité par le régime nazi), mais à la jeunesse d'Einstein ; en 1895, âgé de 16 ans, il quitte l'Allemagne pour Pavie en Italie, où se trouvent ses parents ; il renonce à la nationalité allemande (officiellement en 1896) ; en 1901, il prend la nationalité suisse qu'il aura jusqu'à sa mort ; il reprend la nationalité allemande en 1919 et la perd donc en 1934 ; en 1940, il obtient la nationalité américaine. Cette renonciation à la nationalité allemande demanderait un approfondissement ; en tout état de cause, il s'agit d'une procédure d'avant la Première Guerre mondiale, période où l'apatridie n'a pas le même sens qu'après.
Contrairement à ce que je pensais, Pierre Gastineau se réfère non pas à la période nazie (Albert Einstein a été déchu de la nationalité allemande le 29 mars 1934 ; son nom apparaît dans la liste 2 des déchéances prononcées par le régime nazi, voir la page A propos d'un livre sur les déchéances de nationalité par le régime nazi), mais à la jeunesse d'Einstein ; en 1895, âgé de 16 ans, il quitte l'Allemagne pour Pavie en Italie, où se trouvent ses parents ; il renonce à la nationalité allemande (officiellement en 1896) ; en 1901, il prend la nationalité suisse qu'il aura jusqu'à sa mort ; il reprend la nationalité allemande en 1919 et la perd donc en 1934 ; en 1940, il obtient la nationalité américaine. Cette renonciation à la nationalité allemande demanderait un approfondissement ; en tout état de cause, il s'agit d'une procédure d'avant la Première Guerre mondiale, période où l'apatridie n'a pas le même sens qu'après.
Autres exemples
*14 avril 2018, JT de 20 h de France 2, entretien entre Thomas Sotto et Daniel Cohn-Bendit (dans ce cas, l'émetteur du lieu commun était le présentateur).
A suivre
*Daniel Cohn Bendit apatride 2 Eléménts biographiques
*Daniel Cohn-Bendit apatride 4 La législation allemande en 1945 (et la question de l'apatridie des parents de Daniel Cohn-Bendit)
*Daniel Cohn-Bendit apatride 5 A propos de son acte de naissance
Création : 7 mars 2014
Mise à jour : 4 janvier 2019 (entretien Sotto-DCB, 14/04/18)
Révision : 4 janvier 2019
Auteur : Jacques Richard
Révision : 4 janvier 2019
Auteur : Jacques Richard
Blog :
Territoires
Page : 5. Daniel Cohn-Bendit a-t-il vraiment été apatride ?
Lien
: http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2014/03/daniel-cohn-bendit-apatride.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire