mercredi 20 mars 2019

75. « Depuis 1945, l'Europe nous a garanti la paix » (Mon œil !)

Quelques remarques sur un lieu commun inepte des thuriféraires de l’Union européenne (alias : eurobéats)


Classement : Union européenne ; eurobéatitude




Référence
*Christian Lequesne,  « Europe, les acquis à ne pas oublier », Ouest France, 19 mars 2019

L’auteur
Selon Ouest France, il est « professeur de science politique à Sciences Po Paris ». 
Voir sa page Wikipédia (lien), qui confirme.

Texte
Christian Lequesne souhaite faire part au lecteur d’Ouest France des « acquis de la construction européenne ». Il écrit donc :
« Cinq de ces acquis sont fondamentaux.
Premièrement, l’Europe a garanti la paix du continent, non seulement entre la France et l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, mais aussi entre l’Irlande et la Grande-Bretagne plus récemment. Ce n’est pas pour rien que l’un des points les plus sensibles du Brexit est de savoir si la sortie de la Grande-Bretagne de l’Europe privera les deux Irlande de la garantie européenne de paix en imposant une nouvelle frontière. »

Analyse et commentaires
Il est assez sidérant de trouver, sous la plume d’un universitaire, autant de sottises en si peu de lignes !

1ère erreur ou approximation
Ce n’est pas la Grande-Bretagne (Angleterre, Ecosse, Pays de Galles) qui envisage la sortie de l’UE, mais le Royaume-Uni, qui inclut aussi l’Irlande du Nord. 
Il est certes courant de dire (voire d'écrire) « Grande-Bretagne » pour « Royaume-Uni », mais cet usage approximatif est très malvenu quand on veut évoquer les relations du Royaume-Uni et de l'Irlande, ou plus précisément, de la République d'Irlande.

2ème  erreur ou approximation
Après la Seconde Guerre mondiale, il n’y a pas eu de risque de guerre entre le Royaume-Uni et l’ « Irlande », il y a eu une guerre civile menée en Irlande du Nord (parfois en Grande-Bretagne) par les combattants de l’IRA contre les forces britanniques appuyées par les Loyalistes protestants ; l’IRA n’a jamais reçu de soutien du gouvernement de la République d’Irlande ; et le soutien des habitants de la République était plutôt réservé. 
En tout état de cause, l’UE n’a rien fait et ne pouvait rien faire pendant les quelques décennies qu'a duré cette guerre civile, dans la mesure où ni l’IRA ni même son parti, le Sinn Féin, ne pouvaient être des interlocuteurs de l’UE (encore moins que les nationalistes catalans), tant qu'ils ne voulaient pas arriver à une paix !

3ème  erreur ou approximation
L’idée d’une possibilité de « guerre entre la France et l’Allemagne », après la Seconde Guerre mondiale, relève de l’hallucination politique ; il suffit de rappeler que de 1945 à 1949, il n’existait pas d'« Allemagne », celle-ci était réduite à des zones d’occupations dans lesquelles le pouvoir d’État était détenu par les puissances occupantes (URSS, USA, Royaume-Uni, France), même si le travail administratif était dévolu aux Länder et aux municipalités ; et que de 1949 (création de la République fédérale) à 1992, des troupes alliées étaient stationnées en RFA dans le cadre d’une occupation certes bienveillante et protectrice, mais qui établissait une situation asymétrique au détriment de l’Allemagne.

Comment la paix a été garantie en Europe après la Seconde Guerre mondiale
En réalité, ce qui a garanti la paix en Europe après 1945, ce n’est pas la construction européenne, mais la situation de « guerre froide », l’antagonisme entre les États-Unis et l’URSS ; dans cette situation géopolitique, aucun pays d’Europe n’était en mesure de faire ni même d’envisager la guerre contre un autre pays d'Europe. 
C’est dans le cadre de la guerre froide, c'est-à-dire d’une situation de subordination de l’Europe occidentale aux Etats-Unis (subordination formellement organisée dans le cadre de l’OTAN à partir de 1949) que la construction européenne a pu être lancée à partir de 1950. C’est la paix (sous la forme paradoxale de la guerre froide) qui a permis la constitution de l’Union européenne, et non pas celle-ci qui a « garanti » la paix. 
D’ailleurs, une des conséquences de la fin de la guerre froide a été le déclenchement d’une véritable guerre : en Yougoslavie à partir de 1992 ; cette guerre, intervenue après la chute de l’URSS, l’UE n'a été capable ni de l’empêcher ni de la résoudre.
Et, à l’heure actuelle, l’UE est incapable de résister aux « populismes » et autres nationalismes, parce qu’elle est fondée sur une politique d’orthodoxie monétaire qui ne peut que renforcer ces tendances dans la vie politique. Les thuriféraires dénoncent donc les « populistes » comme fauteurs d’une guerre à venir (« le nationalisme, c’est la guerre »), parce qu'ils ne peuvent pas dénoncer la politique économique inepte de l’UE, cause essentielle de l’existence et du développement de ces mouvements.

Conclusion générale
Ce « premier acquis » (l'UE comme « garant de la paix ») ne correspond donc à rien, si ce n’est à un passage du discours de Robert Schuman en 1950 : mais l’initiateur politique de la construction européenne ne pouvait dire autre chose que « nous voulons contribuer au maintien de la paix ». La construction européenne, impliquant d'une part la France et les pays du Benelux (pays vaincus de 1940 puis occupés), d'autre part l'Allemagne et l'Italie (pays vainqueurs de 1940, vaincus de 1945), résultait certes d'une volonté d'établir des liens d'amitié entre d'anciens ennemis, approfondissant ainsi leur statut objectif d'alliés des Etats-Unis. Mais c'est ce statut qui a constitué pour eux la garantie de la paix (d'ailleurs, le rapprochement franco-allemand aurait-il été possible sans la présence des Etats-Unis en Europe ?)
Il n’empêche que tout thuriféraire de l’Europe (aujourd'hui Lequesne, hier Cohn-Bendit, naguère Cohn-Bendit et jadis Cohn-Bendit) se doit de proclamer comme une vérité absolue ce qui est une inexactitude flagrante. Il s’agit en fait d’une « formule apotropaïque » destinée à « chasser le mauvais esprit » de la tête de ceux qui écoutent et qui, s’ils doutent tant soit peu de la construction européenne, devront faire un « mea culpa » en renonçant à leurs réserves et en se prosternant devant l’autel où officie le charismatique Jean-Claude Juncker !

Conclusion particulière : le cas Lequesne
Quant à Christian Lequesne, il peut, en attendant mieux, se porter candidat à l'eurobéatification (Ouest France, journal plus ou moins démocrate-chrétien, constituerait un excellent vecteur).



Création : 20 mars 2019
Mise à jour : 6 mai 2019 (conclusion)
Révision : 13 avril 2019 (corrections de style)
Auteur : Jacques Richard
Blog : Territoires
Page : 75. Depuis 1945, l'Europe nous a garanti la paix
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2019/03/leurope-nous-garanti-la-paix.html








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