samedi 12 avril 2014

26. La législation allemande de la nationalité est-elle une législation post-nazie ?

Quelques interrogations à propos de l’article 116,  alinéa 2, de la Constitution allemande de 1949 : cet alinéa entérine-t-il de façon implicite les déchéances de nationalité prononcées par le régime nazi ?


Classement : nationalité ; législation ; Allemagne




Cette page est liée aux pages consacrées à la nationalité de Daniel Cohn-Bendit, notamment la page Daniel Cohn-Bendit apatride 4 La législation allemande.

La Constitution allemande de 1949
La Constitution (Grundgesetz) de la République fédérale d'Allemagne date du 23 mai 1949.
A l’époque, elle ne s’appliquait que dans la partie Ouest de l’Allemagne, correspondant aux zones d’occupation française, américaine et britannique. Depuis 1990, c’est la constitution de l’Allemagne tout entière.
La question de la nationalité allemande est traitée dans l’article 116.

L’article 116 : texte 
Alinéa 1
 «  Deutscher im Sinne dieses Grundgesetzes ist vorbehaltlich anderweitiger gesetzlicher Regelung, wer die deutsche Staatsangehörigkeit besitzt oder als Flüchtling oder Vertriebener deutscher Volkszugehörigkeit oder als dessen Ehegatte oder Abkömmling in dem Gebiete des Deutschen Reiches nach dem Stande vom 31. Dezember 1937 Aufnahme gefunden hat.  »

Alinéa 2
Il est consacré à la question des personnes ayant perdu la nationalité allemande du fait du régime nazi.

Texte allemand
« Frühere deutsche Staatsangehörige, denen zwischen dem 30. Januar 1933 und dem 8. Mai 1945 die Staatsangehörigkeit aus politischen, rassischen oder religiösen Gründen entzogen worden ist, und ihre Abkömmlinge sind auf Antrag wieder einzubürgern. Sie gelten als nicht ausgebürgert, sofern sie nach dem 8. Mai 1945 ihren Wohnsitz in Deutschland genommen haben und nicht einen entgegengesetzten Willen zum Ausdruck gebracht haben. »

Traduction (sous réserves)
« Les ressortissants (Staatsangehörige) antérieurement allemands, auxquels la nationalité (Staatsangehörigkeit) a été retirée entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 pour des raisons politiques, raciales ou religieuses, et leurs descendants doivent être naturalisés sur [leur] demande. Ils sont considérés comme n'ayant pas perdu la nationalité (allemande) dès lors qu'après le 8 mai 1945 ils ont pris domicile en Allemagne et n'ont pas exprimé un avis contraire. »

Commentaire
Le moins qu’on puisse dire est que le libellé de cet alinéa n’est pas clair, en allemand, et encore moins si on doit le traduire en français.
Je commencerai par la seconde phrase : elle signifie que les personnes déchues de la nationalité allemande par le régime nazi qui sont revenues en Allemagne sont considérées comme allemandes dès lors qu’elles ne se signalent pas expressément comme ayant une autre nationalité.
Le problème qui se pose ici est : à quelle période cette clause s’applique-t-elle ?
Il existe deux possibilités :
1) elle est valable à partir du 8 mai 1945 et sans limite dans l’avenir ;
2) elle est valable du 8 mai 1945 au 23 mai 1949. Elle ne s’applique pas à ceux qui rentreront après le 23 mai 1949 (ce qui est le cas d’Erich Cohn-Bendit).
Si on en vient à la première phrase,
1) dans le cadre de la première interprétation ci-dessus indiquée, elle s’appliquerait aux personnes qui voudraient recouvrer la nationalité allemande sans rentrer en Allemagne ;
2) dans le cadre de la seconde interprétation, elle s’appliquerait à tous ceux qui veulent recouvrer la nationalité allemande et qui ne sont pas rentrés entre le 8 mai 1945 et le 23 mai 1949.
Se pose alors le problème de la traduction de « sind auf Antrag wieder einzubürgern » :
Cela peut vouloir dire 
1) que, s'ils en font la demande, ils sont réintégrés sans autre condition ;
2) qu’ils doivent passer par la procédure de naturalisation comme tout autre étranger.

Remarque : problèmes de lexique juridique
En France, en matière de nationalité, on distingue l'« attribution » (du fait de la filiation ou du fait d’être né en France d’un parent lui-même né en France) et l'« acquisition » qui peut être soit « de plein droit  » (naissance en France), soit « par déclaration » (mariage), soit « par décret [individuel] » (naturalisation). Le mot « Einbürgerung » est traduit par « naturalisation », mais il pourrait aussi s'agir d'une acquisition de plein droit, ce qui n'est pas du tout la même chose.

Comment clarifier les choses ?
Je me suis adressé il y a vers la mi-mars (2014) à l’ambassade d’Allemagne en posant la question de la signification précise de cet alinéa 116-2.
Je n’ai pas eu de réponse à ce jour.
Jusqu’à preuve du contraire, il est donc possible que certains Allemands déchus de leur nationalité par le régime nazi aient été soumis à une procédure de naturalisation (comme s’ils étaient étrangers), dès lors qu’ils n’étaient  pas rentrés en Allemagne avant le vote de la Constitution de 1949. 
Cela n'a probablement concerné qu’un petit nombre de gens, mais sur le principe, cela signifierait que cet alinéa relève d’une législation entérinant un état de fait établi par le régime nazi, qu’on aurait donc affaire à une disposition postnazie.
Personnellement,j’étais persuadé que la législation nazie avait été abolie dès le 8 mai 1945, et basta... 
Un approfondissement du sujet semble indiquer que les choses ne se sont pas passées aussi simplement, sur le plan de la légalité, sans parler de l’attitude de la droite allemande dans les années 1950 et 1960.

A venir
*Le cas de Willy Brandt



Création : 12 avril 2014
Mise à jour : 5 février 2016
Révision : 16 septembre 2017
Auteur : Jacques Richard
Blog : Territoires
Page : 26. La législation allemande de la nationalité est-elle une législation post-nazie ?
Lien : http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2014/04/26-la-legislation-allemande-est-elle.html








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