Quelques interrogations à propos de l’article 116,
alinéa 2, de la Constitution allemande de 1949 : cet alinéa entérine-t-il de façon implicite les déchéances de nationalité prononcées par le
régime nazi ?
Classement : nationalité ; législation ; Allemagne
Cette page est liée aux pages consacrées à la nationalité
de Daniel Cohn-Bendit, notamment la page Daniel
Cohn-Bendit apatride 4 La législation allemande.
La Constitution allemande de 1949
La Constitution (Grundgesetz) de la République fédérale
d'Allemagne date du 23 mai 1949.
A l’époque, elle ne s’appliquait que dans la partie Ouest de
l’Allemagne, correspondant aux zones d’occupation française, américaine et
britannique. Depuis 1990, c’est la constitution de l’Allemagne tout entière.
La question de la nationalité allemande est traitée dans l’article 116.
L’article 116 : texte
Alinéa 1
« Deutscher im Sinne dieses Grundgesetzes ist
vorbehaltlich anderweitiger gesetzlicher Regelung, wer die deutsche
Staatsangehörigkeit besitzt oder als Flüchtling oder Vertriebener deutscher
Volkszugehörigkeit oder als dessen Ehegatte oder Abkömmling in dem Gebiete des
Deutschen Reiches nach dem Stande vom 31. Dezember 1937 Aufnahme gefunden hat. »
Alinéa 2
Il est consacré à la question des personnes ayant perdu
la nationalité allemande du fait du régime nazi.
Texte allemand
« Frühere deutsche Staatsangehörige, denen zwischen dem 30.
Januar 1933 und dem 8. Mai 1945 die Staatsangehörigkeit aus politischen,
rassischen oder religiösen Gründen entzogen worden ist, und ihre
Abkömmlinge sind auf Antrag wieder einzubürgern. Sie gelten als nicht
ausgebürgert, sofern sie nach dem 8. Mai 1945 ihren Wohnsitz in Deutschland
genommen haben und nicht einen entgegengesetzten Willen zum Ausdruck gebracht
haben. »
Traduction (sous réserves)
« Les ressortissants (Staatsangehörige) antérieurement
allemands, auxquels la nationalité (Staatsangehörigkeit)
a été retirée entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 pour des raisons
politiques, raciales ou religieuses, et leurs descendants doivent être
naturalisés sur [leur] demande. Ils sont considérés comme n'ayant pas
perdu la nationalité (allemande) dès lors qu'après le 8 mai 1945 ils ont pris
domicile en Allemagne et n'ont pas exprimé un avis contraire. »
Commentaire
Le moins qu’on puisse dire est que le libellé de cet alinéa
n’est pas clair, en allemand, et encore moins si on doit le traduire en
français.
Je commencerai par la seconde phrase : elle signifie
que les personnes déchues de la nationalité allemande par le régime nazi qui
sont revenues en Allemagne sont considérées comme allemandes dès lors qu’elles
ne se signalent pas expressément comme ayant une autre nationalité.
Le problème qui se pose ici est : à quelle période
cette clause s’applique-t-elle ?
Il existe deux possibilités :
1) elle est valable à partir du 8 mai 1945 et sans limite
dans l’avenir ;
2) elle est valable du 8 mai 1945 au 23 mai 1949. Elle ne
s’applique pas à ceux qui rentreront après le 23 mai 1949 (ce qui est le cas
d’Erich Cohn-Bendit).
Si on en vient à la première phrase,
1) dans le cadre de la première interprétation ci-dessus indiquée,
elle s’appliquerait aux personnes qui voudraient recouvrer la nationalité allemande
sans rentrer en Allemagne ;
2) dans le cadre de la seconde interprétation, elle
s’appliquerait à tous ceux qui veulent recouvrer la nationalité allemande et qui ne
sont pas rentrés entre le 8 mai 1945 et le 23 mai 1949.
Se pose alors le problème de la traduction de « sind
auf Antrag wieder einzubürgern » :
Cela peut vouloir dire
1) que, s'ils en font la demande, ils sont réintégrés sans
autre condition ;
2) qu’ils doivent passer par la procédure de naturalisation
comme tout autre étranger.
Remarque : problèmes de lexique juridique
En France, en
matière de nationalité, on distingue l'« attribution » (du fait de la filiation
ou du fait d’être né en France d’un parent lui-même né en France) et l'«
acquisition » qui peut être soit « de plein droit » (naissance
en France), soit « par déclaration » (mariage), soit « par décret
[individuel] » (naturalisation). Le mot « Einbürgerung » est
traduit par « naturalisation », mais il pourrait aussi s'agir d'une
acquisition de plein droit, ce qui n'est pas du tout la même chose.
Comment clarifier les choses ?
Je me suis adressé il y a vers la mi-mars (2014) à l’ambassade
d’Allemagne en posant la question de la signification précise de cet alinéa
116-2.
Je n’ai pas eu de réponse à ce jour.
Jusqu’à preuve du contraire, il est donc possible que
certains Allemands déchus de leur nationalité par le régime nazi aient été
soumis à une procédure de naturalisation (comme s’ils étaient étrangers), dès
lors qu’ils n’étaient pas rentrés en
Allemagne avant le vote de la Constitution de 1949.
Cela n'a probablement concerné qu’un petit nombre de gens, mais sur le principe, cela
signifierait que cet alinéa relève d’une législation entérinant un état de fait
établi par le régime nazi, qu’on aurait donc affaire à une disposition postnazie.
Personnellement,j’étais persuadé que la législation
nazie avait été abolie dès le 8 mai 1945, et basta...
Un approfondissement du sujet semble indiquer que les
choses ne se sont pas passées aussi simplement, sur le plan de la légalité,
sans parler de l’attitude de la droite allemande dans les années 1950 et 1960.
A venir
*Le cas de Willy Brandt
Création : 12 avril 2014
Mise à jour : 5 février 2016
Révision : 16 septembre 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Territoires
Page : 26. La législation allemande de la nationalité est-elle une législation post-nazie ?
Lien : http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2014/04/26-la-legislation-allemande-est-elle.html
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