vendredi 12 février 2016

QH 3. Un abus de l'expression « camp de concentration » 2

Quelques remarques sur un article de Bruno Vargas dans Libération (novembre 2015)


Classement : terminologie ; France ; Allemagne ; 1939-1945




Ceci est une suite de la page Une utilisation abusive de l’expression « camp de concentration », dans laquelle je cite le hors-série n° 50 (Robert Capa) de Reporters sans frontières.
J’étudie ci-dessous un autre cas d’abus de ce terme, toujours à propos des réfugiés espagnols de 1939.

Référence
*Bruno Vargas, « Comment la France a intégré les "hordes rouges" espagnoles », Libération, 13 novembre 2015 (disponible en ligne).

L’auteur
Bruno Vargas est « maître de conférences à l’université Toulouse-Midi-Pyrénées.

Le texte
Il évoque notamment, au début de son article : « les terribles conditions "d’accueil" que la IIIè République à bout de souffle a réservées aux quelque 475 000 exilés de la Retirada, parqués dans des camps de concentration – si l’on reprend la terminologie employée par les autorités d’époque – rebaptisés plus tard "camps d’internement", à Gurs, au Vernet d’Ariège ou aux Milles expliquent, en partie, pourquoi près des deux tiers repartent en Espagne, ou émigrent vers les pays d'Amérique latine. »

Commentaire
On peut remarquer le jeu sur les guillemets, que j’ai reproduits tels quels : « d’accueil », camps de concentration, « camps d’internement ».
Dans le premier cas, il suffisait de dire « les terribles conditions d’accueil… ». Avec les guillemets (« d’accueil »), il s’agit de marquer - très lourdement - que l’auteur parle au second degré, qu’il n’est pas dupe, etc. Mais un accueil n'est pas toujours accueillant, chaleureux, sympathique ; il peut être glacial, froid, etc. Le procédé des guillemets est un peu puéril... passons charitablement.
En revanche, je trouve inacceptable de marquer les camps d’internement par des guillemets et de ne pas le faire pour les camps de concentration, puisque dans les deux cas, il s’agit de la « terminologie employée par les autorités d’époque ». Bruno Vargas sous-entend-il que le terme camps d’internement est un euphémisme, alors que le terme camps de concentration est approprié ? Ce n’est sans doute pas ce qu’il pense, mais c’est bien ce qui est sous-entendu (objectivement, dans l’objectivité du texte !).

Remarques annexes
La phrase citée pose d'autres problèmes rhétoriques : 
Pourquoi l'auteur choisit-il d'écrire « la IIIè République à bout de souffle », plutôt que, par exemple, « le gouvernement Daladier » (non pas un gouvernement de Front Populaire, mais d' Union nationale) ? 
Pourquoi « à bout de souffle », alors que le fait que la IIIème République va s'effondrer l'année suivante n'est évidemment  pour  rien dans l'attitude du gouvernement envers les réfugiés espagnols ? 
Pourquoi « les conditions d’accueil [qu'elle] a réservées » [« réservé » dans l'original] alors qu'il s'agit d'une absence d'anticipation et de préparation (ce qui est aussi condamnable) : le problème est que le gouvernement n'avait rien « réservé » pour les Espagnols.

Conclusion
D’une façon générale, celui qui veut écrire de l’histoire devrait s’abstenir d’abuser des guillemets et du second degré.
Que les conditions d’accueil aient été « terribles », je suis prêt à l’admettre, mais cela ne permet pas de sous-entendre que les camps de concentration du sud de la France, en 1939, étaient l’équivalent des camps de concentration allemands.
On n'est pas dans l'écriture de l'histoire, mais dans le registre de la polémique, une polémique d'autant plus sournoise qu'elle n'est pas explicite, qu'elle se niche dans une accumulation d'énoncés biaisés et de guillemets plus ou moins significatifs. 



Création : 12 février 2016
Mise à jour : 13 février 2017
Révision : 5 septembre 2017
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 3. Un abus de l'expression  « camp de concentration » 2
Lien : http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2016/02/lexpression-camp-de-concentration-2.html









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