Classement : épistémologie
de l’histoire ; rhétorique de l’écriture historique
Référence
*Jack
Dion, « OTAN en emporte le vent atlantiste », Marianne, n° 1108,
8 juin 2018, page 54
Dans
cette chronique, Jack Dion évoque les manœuvres de l’OTAN (« Coup de sabre »)
qui ont lieu actuellement (juin 2018) dans des pays limitrophes de la Russie.
Il admet que la politique étrangère russe laisse à désirer, mais conclut un
paragraphe de la façon suivante :
Texte
« Encore faut-il se demander si la bonne
réponse est une nouvelle mouture de la guerre froide qui jadis, a mis la
planète au bord de l’explosion. »
Analyse
Une
erreur conceptuelle
Elle
ne porte pas sur la valeur de l’opinion exprimée par Jack Dion (il ne faut pas
refaire avec la Russie de Poutine ce qui a été fait avec l’URSS de l’après-guerre),
mais sur sa formulation (l’auteur utilise une
figure de rhétorique tout à fait inappropriée : la transformation d’un
concept en agent historique effectif).
En
effet, la « guerre froide »
est et n’est qu’un concept, un moyen d’analyser et surtout de décrire une
situation historique donnée : le conflit entre l’URSS et les Etats-Unis
après la Seconde Guerre mondiale, conflit qui s’est terminé par l’effondrement
du camp soviétique en 1989 et même la dislocation de l’URSS en 1991.
A
proprement parler, la « guerre froide » n’a pas existé dans la
réalité ; ce qui a existé, c'est l'antagonisme entre les Etats-Unis et l'URSS, ce sont les décisions stratégiques et tactiques
dans ce conflit sans guerre directe entre les deux protagonistes, donc fondé sur
des modes relativement non violents de combat (espionnage, recherche de « protégés »…) et sur une composante importante : la détention par les deux
puissances d’un armement nucléaire équivalent (d'où le lieu commun sur
cette époque : « la planète [était] au bord de l’explosion »).
Mais, à supposer que ce lieu commun ait eu la moindre valeur, ce n'est pas la « guerre froide » qui aurait pu déclencher le cataclysme.
Une
erreur factuelle
Le conflit appelé « guerre froide » a été largement fondé sur la « stratégie de la
dissuasion nucléaire » : l’idée que l’utilisation par un des deux de
l’arme nucléaire provoquerait des représailles nucléaires telles que cette arme
ne pouvait pas rationnellement être utilisée en premier.
Le
mode conflictuel de cette époque excluait donc la guerre nucléaire comme solution
rationnelle.
Mais
on ne peut pas pour autant dire que « la guerre froide » aurait empêché
la guerre nucléaire, car les acteurs effectifs du processus étaient les gouvernements
américains et soviétiques, et non pas un concept mis au point par des
journalistes plutôt que par des historiens.
Autres
exemples de cette erreur conceptuelle
Une
erreur analogue est commise par certains auteurs lorsque ils font de « la Révolution
française » un agent historique effectif : « la Révolution française
ne pouvait que déboucher sur la Terreur ». Il me semble qu’un certain
nombre d’énoncés de François Furet relèvent de cette rhétorique (bien entendu,
il est exact que les événements de 1789 comportent une part importante de
violence), qui vise à « condamner » le concept décrivant
un processus historique, de même que Jack Dion croit utile de « condamner »
la « guerre froide ».
Sans
parler du pitre nommé Philippe Nemo qui voit dans l’histoire de France depuis
1789 un conflit entre « 1789 » et « 1793 » ! (voir la page Philippe
Nemo, le Front populaire et le régime de Vichy).
Dans une déclaration de 1948 (à propos de la Déclaration universelle des droits de l'homme), René Cassin affirme que dans les années 1930 « la violation des droits de l'homme a conduit à la guerre ». En réalité, c'est le régime nazi qui a été à l'origine de la guerre, non pas parce qu'il violait les droits de l'homme, mais parce que la conquête territoriale, donc la guerre, était un élément essentiel de son idéologie. Même ineptie lorsque, à propos du protectionnisme économique, certains déclarent pour mettre fin au débat : « On sait où ça nous a conduit » (à la guerre, mais ce n'est jamais dit, afin de bien obscurcir les choses).
Dans une déclaration de 1948 (à propos de la Déclaration universelle des droits de l'homme), René Cassin affirme que dans les années 1930 « la violation des droits de l'homme a conduit à la guerre ». En réalité, c'est le régime nazi qui a été à l'origine de la guerre, non pas parce qu'il violait les droits de l'homme, mais parce que la conquête territoriale, donc la guerre, était un élément essentiel de son idéologie. Même ineptie lorsque, à propos du protectionnisme économique, certains déclarent pour mettre fin au débat : « On sait où ça nous a conduit » (à la guerre, mais ce n'est jamais dit, afin de bien obscurcir les choses).
Création : 11 juin 2018
Mise à jour : 5 janvier 2019 (exemples)
Révision : 5 décembre 2018
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 34. Quand Jack Dion condamne la guerre froide
Lien : http://jrichardterritoires.blogspot.com/2018/06/quand-jack-dion-condamne-la-guerre.html
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