jeudi 29 novembre 2018

QH 42. Périco Légasse déteste les maréchaux

Quelques remarques sur une tribune de Périco Légasse à propos des maréchaux de la guerre de 1914


Classement : Première Guerre mondiale ; antimilitarisme




Référence
*Périco Légasse, « Voyage au bout de la honte », Marianne, n° 1131, 16-22 novembre 2018, page 86 (rubrique « Carte blanche »)

Texte
Je me bornerai à reproduire quelques passages (voir la partie Analyse).

Analyse
La tribune évoque d’abord les ouvrages consacrés à l’horreur de la guerre de 1914-1918, notamment ceux de Genevoix et de Céline. Il achève cette partie en écrivant : « En avons-nous seulement retenu la leçon ? » (je suppose qu’il veut dire : « la leçon de ces ouvrages ». Il attaque ensuite l’essentiel :

Années 30 ou années 10 ?
« La situation  [actuelle] ressemble davantage à celle des années 10 [qu’à celle des années 30], avec des espaces vitaux à conquérir sous forme de marchés, au nom d’une globalisation fraiche et joyeuse et, surtout des superpuissances qui ne cessent de se surarmer au cas où il faudrait contenir l’autre. »
Sa critique de l’idée d’une parenté de notre époque avec les années 1930 (lieu commun actuel) auquel il préfère un rapprochement avec les années 1900-1914 est plutôt intéressant. Il met en cause des aspects essentiels de la « Belle Epoque » (armement, conquêtes coloniales, concurrence commerciale) qui la rapprochent plus de notre époque que les caractéristiques des années 1930 (crise mondiale, chômage de masse, présence dans le monde démocratique de mouvements d’extrême-droit théorisant et pratiquant la violence comme moyen politique).

Une surprenante focalisation sur le haut commandement allié
« Si nos élites étaient en phase avec leur époque, voire cohérentes avec leurs propos, c’est d’abord aux parangons actifs du nationalisme belliqueux, que furent les maréchaux de 14-18 qu’il faudrait s’en prendre. »
Il est surprenant qu’après son analyse des années 1900-1914, il pointe un groupe très limité de gens, « les maréchaux de 14-18 » auxquels il semble faire porter la responsabilité intégrale de la guerre et de ses conséquences, adjoignant tout de même aux Français un Britannique et un Américain. Apparemment, il ignore qu’il y avait aussi des généraux de haut rang en Allemagne et en Autriche, dont la responsabilité dans le déclenchement de la guerre est probablement plus importante que celles de généraux alliés (les liens entre le nationalisme pangermaniste, le gouvernement et les milieux militaires étant plus étroits que ceux qui existaient entre les nationalistes français, le gouvernement (républicain de centre-gauche) et l’armée.

Une rhétorique de pamphlétaire
Ces maréchaux français, Périco Légasse affirment qu’ils furent des « parangons actifs du nationalisme belliqueux », qu’ils « poussèrent au crime », qu’ils «  se réjouirent du conflit », qu’ils «  ne voyaient dans l’hécatombe que l’expression de leur génie ». Fichtre !
« Considérant que telle devait être la manifestation de leur puissance nationale, ils envoyèrent des millions d’enfants de la patrie au massacre. » (la formule « la manifestation de leur puissance nationale » n’est pas très claire ; on comprend tout de même ce qu’il a en tête : qu’ils avaient une puissance de contrôle énorme sur la nation ; ce qui est évidemment absurde : voir les débats sur la « loi de trois ans »).
« Les maréchaux ne voyaient dans les vagues d’assaut lancées par dizaines de milliers, puis par centaines de milliers, que les performances d’une stratégie apprise à l’Ecole de guerre »
Ils furent en fait « sept bouchers sans scrupule ».
Il est difficile d’analyser de tels propos, dans lesquels les procès d’intention sont légion. Se « réjouirent-ils vraiment du conflit » ? Si c’est le cas, ils furent accompagnés par de très nombreux officiers et sous-officiers, ainsi que par les milieux nationalistes militants de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie française, voire d’une partie de la classe ouvrière.
Maintenant si on analyse au cas par cas : peut-on dire de Joffre qu’il « ne voyait dans l’hécatombe que l’expression de son génie ? » ? Il est devenu maréchal à la suite de la bataille de la Marne : je doute que pendant les mois d’août et septembre 1914, il ait eu beaucoup d’occasions de se réjouir (sauf une fois la bataille gagnée), alors que l’armée allemande paraissait en mesure de prendre Paris, et encore moins de se réjouir des morts du côté français !

Nivelle, Mangin, Maistre
Dans cette tache néfaste, ils furent secondés par une « ribambelle de généraux à leurs ordres, Nivelle, Mangin, Maistre, assassins en képi »
Le mot « ribambelle » évoque plutôt des dizaines de personnes : or il n’en cite que trois.
Le général Robert Nivelle (1856-1924) remplace Joffre, considéré comme insuffisamment « offensif », comme commandant en chef (25 décembre 1916) ; il est le grand responsable de l’offensive du Chemin des Dames, qui occasionne des pertes énormes pour un gain minime. Il est remplacé par Pétain (15 mai 1917).
Charles Mangin (1866-1925) est un des participants à l’offensive du Chemin des Dames. Il perd ses fonctions en même temps que Nivelle, mais retrouve un commandement en décembre 1917.
Quant à Paul Maistre (1858-1922), je ne vois pas pourquoi Périco Légasse l’a particulièrement distingué.

Pétain
Il met Pétain à part :
« Le seul qui rechignait à sacrifier des vies humaines fut le général Pétain, indignement appelé maréchal alors qu’il fut déchu de ce titre par la Haute Cour de justice en août 1945. Convaincu que la guerre allait être perdue et favorable à un armistice avec l’Allemagne en 1917, il ne voyait plus l’utilité des vagues d’assaut. C’est sur ce paradoxe que l’on en fit le héros de Verdun et, vingt-deux ans plus tard, le sauveur du pays. » C’était en fait « un futur traitre fascisant ».
Quelques rappels historique : Pétain participe à la bataille de Verdun de février à avril 1916. Il joue un rôle important (notamment dans l’organisation des transports) et est crédité par les soldats d’être le « vainqueur de Verdun ». Devenu commandant en chef, il se borne à des offensives limitées (Verdun, août 1917 ; Chemin des Dames, octobre 1917). C’est après l’offensive allemande de mars 1918 en Picardie qu’il apparaît comme excessivement pessimiste aux yeux de Clemenceau ; c’est donc Foch qui est choisi pour occuper le poste (créé à ce moment) de commandant en chef des armées alliées, Pétain conservant le commandement de l’armée française. En octobre 1918, alors que l’armée allemande recule, il envisage une offensive jusqu’en Allemagne, mais l’armistice met fin à ce projet.
L’assertion selon laquelle Pétain était « favorable à un armistice avec l’Allemagne en 1917 » ne parait donc pas fondée. 

L’exorde
« Un million quatre cent mille jeunes hommes tombés « au champ d’honneur » pour flatter l’orgueil de ceux qui, aujourd'hui, seraient plus près du crime de guerre que du bâton de maréchal. L’hommage aux maréchaux du 10 novembre 2018 résonne comme un voyage au bout de la honte. »
Il donne ici la totalité des morts militaires de la Première Guerre mondiale. Il est évident que ce nombre ne peut pas être intégralement imputé aux partisans de l’offensive à tout prix, beaucoup de ces morts étant survenues dans des conditions défensives soit lors de la retraite de 1914, puis de la bataille de la Marne ; soit durant la routine de la guerre des tranchées.

Commentaire
Cette diatribe contre les maréchaux de la Première Guerre mondiale ressort d’une littérature antimilitariste du début du XX° siècle (anarchiste ou communiste), qui ne s’embarrassait pas de nuances.
Si on est contre la guerre et contre l’armée (sauf s’il s’agit de l’Armée rouge !), on peut dire à peu près n’importe quoi sur la guerre et sur l’armée, y compris des choses exactes. Mais cela repose en fin de compte sur l’idée que fondamentalement, la nation n’existe pas, que seules les classes sociales existent. C'est un point de vue, ce n'est pas celui de Périco Légasse.
Pour lui, la nation existe, comme le montrent les quelques lignes sur « les poilus [qui] défendaient bien cette patrie, la terre de leurs pères, pour que leurs femmes et leurs gosses puissent y vivre en paix. », en opposition à un commandement totalement étranger à de telles conceptions.

Envoi
La réalité de la guerre, pour la France, était qu’à la fin de 1914, les Allemands occupaient une partie du territoire (notamment Lille et une bonne partie du Nord) et que, à un moment ou à un autre, il faudrait passer à l’offensive pour les déloger (à moins de dire : « OK, vous avez gagné, on fait la paix sur la base des lignes d’armistice », c'est-à-dire de mettre en question l’existence de la nation !). Il est clair que les offensives des années 1915, 1916 et 1917, ont, dans le cadre de la guerre de tranchées (c'est-à-dire une guerre de fortification), été des erreurs graves, et celles de 1917 peuvent rétrospectivement être qualifiées de « criminelles » (pas d'un point de vue juridique, cependant). Mais peut-on pour autant en faire porter la responsabilité à seulement sept maréchaux et trois généraux ?
Les offensives de 1918 ont connu le succès : elles n’en ont pas moins causé la mort de nombreux soldats. Périco Légasse estime-t-il que ces offensives aussi ont été criminelles ? (d’un point de vue antinational, oui, mais si on adopte un point de vue national ou patriotique ?)

Conclusion
Périco Légasse aurait mieux fait de s’en tenir à la gastronomie et à l’écologie gastronomique !



Création : 29 novembre 2018
Mise à jour :
Révision : 4 décembre 2018
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 42. Périco Légasse déteste les maréchaux
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2018/11/perico-legasse-deteste-les-marechaux.html








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