Quelques remarques sur l’hespérophobie (détestation de l'Occident) de certains historiens et plumitifs
Classement : hespérophobie ; Patrick Boucheron
Références
*Romain Bertrand, Qui a fait le tour de quoi ? L’Affaire Magellan, Paris, Verdier, 2020
*Jonathan Chalier, « Notice critique de Romain Bertrand », Esprit, mai 2020, pages 180-181
Les auteurs
*Jonathan
Chalier est « rédacteur en chef adjoint de la revue Esprit, chargé de cours de philosophie à l'École
polytechnique » (notice sur le site d'Esprit, lien)
*Romain Bertrand est « directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques depuis 2008, Romain Bertrand est diplômé de l’IEP de Bordeaux (1996) et a obtenu son doctorat de sciences politiques à l’IEP de Paris en 2000. Sa thèse portait sur les trajectoires d’entrée en politique de membres de l’aristocratie javanaise en Insulinde coloniale (Indes néerlandaise) des années 1880 aux années 1930. Il a rejoint le CERI en 2001. » (repris (et corrigé) de la notice Wikipédia).
*Romain Bertrand est « directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques depuis 2008, Romain Bertrand est diplômé de l’IEP de Bordeaux (1996) et a obtenu son doctorat de sciences politiques à l’IEP de Paris en 2000. Sa thèse portait sur les trajectoires d’entrée en politique de membres de l’aristocratie javanaise en Insulinde coloniale (Indes néerlandaise) des années 1880 aux années 1930. Il a rejoint le CERI en 2001. » (repris (et corrigé) de la notice Wikipédia).
Texte de
la notice de Jonathan Chalier
« Ce
récit, érudit et accessible, cherche à défaire "l’idée arrogante que l’Europe s’est longtemps faite d’elle-même, de son
excellence, de sa précellence", et dont Magellan est le symbole. Il y
parvient grâce à une écriture alerte et convaincante, une documentation précise
qui permet de restituer les motivations du navigateur et le contexte historique
du voyage, et l’adoption du point de vue des peuples bafoués au passage. On
découvre en effet, à rebours des imaginations de Zweig qui portent avant tout "une certaine idée de l’Europe",
un Magellan mercenaire et une expédition marquée par la rivalité de la Couronne
espagnole avec la portugaise, par la maladie, le froid et la mort, ainsi que
par l’incapacité d’apprécier les coutumes des peuples croisés, dont la
profusion – comme celle de la jungle – désarçonne les Espagnols. Et l’auteur de
faire revivre l’Insulinde, l’archipel malais, au centre d’un négoce déjà
mondial, où "les épices et le Coran
voisinent dans l’entrepont des boutres". Romain Bertrand rappelle
que, comme le note la chronique de l’expédition, "Magellan a presque fait le
tour du monde" et s’attarde sur le destin des compagnons du voyage,
en particulier d’Enrique, l’esclave malais, le premier à avoir véritablement
fait un tour complet. En effet, "il
faut quantité de vies infimes pour faire une vie majuscule." »
Références
complémentaires
Il y a quelques semaines, au
cours des mois de janvier-mars, j’ai entendu sur France Culture plusieurs
émissions (à moins que cela ait été une seule émission) relevant de la même
mouvance.
Une d’elle évoquait un roman uchronique relatif aux relations entre les Incas et l’Europe, qui imaginait sardoniquement
l’Europe « découverte » par un navigateur inca (dynastie considérée comme très « arrogante », par d’autres peuples de la Cordillère
des Andes, dès avant l’arrivée des Espagnols).
Je me rappelle aussi avoir entendu Patrick Boucheron (professeur au Collège de France) parler des grandes découvertes,
expliquant à quel point l’Asie orientale des XVème et XVIème
siècles était plus avancée que l’Europe et conclure (je ne me rappelle pas les
termes exacts, mais c’était l’idée) : « On ne comprend pas bien
pourquoi ce sont les Européens qui ont découvert le reste du monde. » (il faudrait qu'il retourne au collège !).
D’autres font grand cas d’une
expédition maritime qui aurait été lancée un empereur chinois
pour « explorer le monde », preuve selon eux que les Chinois auraient pu et donc qu'ils auraient dû découvrir l’Europe (et non pas les nullards qui l'ont fait)…
Bref, que l’histoire (série d'événements) qui est
réellement arrivée (Colomb, Magellan, Vasco de Gama, et autres tristes sires), c’est
« trop pas juste » pour des peuples qui nous étaient
bien supérieurs, à nous, les Européens, tant sur le plan moral que technique.
Commentaire
Tout ça relève du grand n’importe
quoi.
Une histoire moralisatrice
Une histoire moralisatrice
Tout ça relève d’une histoire
incroyablement moralisatrice, une histoire (pratique
professionnelle) qui semble se donner pour but non pas d’étudier ce qui s’est
passé (aussi bien qu'on puisse le faire), mais de porter des jugements sur ce qui s’est prétendûment passé. Car lorsque Boucheron
dit « on ne comprend pas », il veut dire en réalité : « ce
qui s’est passé n'était pas bien, ça n’aurait pas dû se passer comme ça, c’est trop pas
juste ! ».
On trouve aussi cette idée dans la notice de Chalier : lorsque il écrit
que « ce n’est pas Magellan qui a fait le premier tour du monde, mais son
esclave malais », il veut dire que ce n’est pas juste pour cet esclave
dont l’histoire a certes retenu le nom (« Enrique »), son nom
européen, du moins, mais ne lui a pas accordé la gloire qu’elle a (à
tort) allouée à Magellan. Lequel était un « [vil] mercenaire de l’Espagne »
(Colomb aussi). L’Espagne qui était seulement impliquée dans une rivalité minable
avec le Portugal, deux pays qui n’avaient pas seulement prévenu l'empereur de Chine du mauvais coup qu’ils
préparaient !). Hé oui ! l'histoire, ce n'est pas toujours grandiose !
« Remettre l’Occident à sa place »
« Remettre l’Occident à sa place »
Cette
histoire moralisatrice vise aussi à « remettre l’Occident à sa
place », à dénoncer son « arrogance », cette
« croyance à son excellence et à sa précellence » (quel bla bla chez
cet « historien », quel souci de « faire
littéraire » ! Quelle façon de se « mettre à part »,
d’affirmer sa propre « excellence et précellence » morale,
regardez-moi, regardez comme je suis bon !
Quant à l’« arrogance », qui, dans le cadre de séances d'autoflagellation intellectuelle, est souvent attribuée à « la France », mais ici à « l’Occident », cela pourrait sans doute être un objet d’étude : dans ce cas, la Chine (autoproclamé « Empire du Milieu ») et le Japon (autoproclamé « Empire du Soleil levant ») seraient bien placés sur la « liste des arrogants » (en revanche, pas la Corée, qui s'autoproclame seulement « Pays du matin calme »).
Ce qui est pénible, c’est que ce concept devienne un « argument » : or, en tant qu’argument, il ne vaut pas un clou !
Quant à l’« arrogance », qui, dans le cadre de séances d'autoflagellation intellectuelle, est souvent attribuée à « la France », mais ici à « l’Occident », cela pourrait sans doute être un objet d’étude : dans ce cas, la Chine (autoproclamé « Empire du Milieu ») et le Japon (autoproclamé « Empire du Soleil levant ») seraient bien placés sur la « liste des arrogants » (en revanche, pas la Corée, qui s'autoproclame seulement « Pays du matin calme »).
Ce qui est pénible, c’est que ce concept devienne un « argument » : or, en tant qu’argument, il ne vaut pas un clou !
« Un commerce
déjà mondial, des épices et des Corans au fond des boutres »
Pour
Chalier (ou pour Bertrand, on finit par ne pas s’y retrouver, « je ne
comprends pas »), un « vrai commerce mondial », au XVIème
siècle, c’est « des épices et des Coran » : alors, là, si les
Européens n’avaient rien à cirer de quelque chose (du haute de leur arrogance
et de leur précellence), c’est bien du Coran, surtout en tant que
marchandise !.
Comment
peut-on écrire que « l’archipel malais [était] au centre d’un négoce déjà
mondial » ? Il parle de 1520, au moment où l’expédition de Magellan y
passe… Mondial, oui, à l’échelle de la mer de Chine. Car, le commerce mondial,
à l’époque, c’était les Portugais et les Espagnols qui l’assuraient ; et le
commerce mondial par « excellence », ça n'a certes pas été des Coran, mais (très vite), les esclaves !
Une conception
débile de l’histoire
Comment
peut-on avoir cette conception débile de l’histoire, consistant à distribuer
(en douce) des récompenses et des punitions, et à décréter que « ceci est
trop pas juste » et « cela aurait été trop plus juste », qu’un
tel est arrogant (et méchant), et tel autre humble et dévoué (et gentil).
Qui a fait le
premier le tour du monde ? Rien à cirer !
Quel
est par exemple l’intérêt de chercher à déterminer (de façon subreptice) « qui a fait
le premier tour du monde complet » ? Ce n’était pas du tout le problème que
se posait Magellan, ni ses commanditaires espagnols. Et, en tout état de cause, si le Malais Enrique a fait le premier vrai tour du monde, ce n'est pas sur un navire malais, mais sur un (ou des) navires espagnols ; il n'y était pour rien (cela pourrait même être considéré comme une atteinte à ses droits individuels que d'avoir été aussi longtemps déporté hors de chez lui).
Pourquoi les
Européens ont « gagné » : un problème finalement assez simple
Il faut ne rien connaître à l’histoire pour écrire de pareilles sottises !
Il
n’est pas vraiment difficile de comprendre pourquoi ce sont des Européens,
précisément des Portugais et des Espagnols, qui ont « découvert le
monde » et non pas les Chinois ou les Indiens.
Ce
n’est pas parce qu’ils étaient plus, ou moins, avancés, plus, ou moins, « arrogants »,
plus « ceci », et moins « cela ».
C’est
parce que depuis plusieurs décennies (en remontant aux années
1400-1420, début de l’« aventure portugaise », voire plus tôt), des Européens souhaitaient ardemment pouvoir commercer directement avec l'Asie
orientale (« les Indes »), en se passant de l’intermédiaire obligé
des marchands et navigateurs du monde musulman qui assuraient jusque-là le transit
dans l’océan Indien jusqu'aux ports musulmans méditerranéens (mais qui, notons-le, n’avaient aucun accès aux ports des
pays d’Europe occidentale, Italie, Espagne, France, a fortiori, Angleterre et
Pays-Bas, parce que le trafic en Méditerranée à destination de l'Europe était aux mains des Italiens,
Vénitiens et Génois en premier lieu).
Les
Asiatiques, en revanche, n’avaient aucune volonté concernant le commerce avec
l’Europe. Ils ne voulaient pas « atteindre l’Europe ». Ça leur était
complètement égal. Il est donc logique qu’ils n’aient pas réussi : ils
n’ont pas eu l’idée d’essayer, parce qu’ils n’avaient aucun intérêt dans
cette affaire.
À
venir
*Le
processus réel des grandes découvertes, sans « excellence », ni « précellence », ni « arrogance »
Création : 1° juin 2020
Mise à jour :
Révision : 29 décembre 2020
Auteur : Jacques Richard
Blog : Question d’histoire
Page : QH 80. Patrick Boucheron et les grandes découvertes
Lien : Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2020/06/patrick-boucheron-et-les-grandes.html
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