Quelques remarques sur un mensonge de la mouvance décoloniale-indigéniste à propos du Code noir
Classement :
Ceci est un compléments aux pages consacrées à « l'affaire Colbert », suscitée par une pétition promue en 2017 par les sieurs Sala-Molins et Tin (lien).
Références
*Marianne, 2 octobre 2020, page 52 : photographie présentée dans le cadre d’un article de Rachel Binhas, « Les
nouveaux maîtres censeurs »
*« Edit du Roi Touchant la Discipline des
Esclaves Nègres des Isles de l'Amérique Française, donné à Versailles au mois
de mars 1685 », publié dans Recueil d’édits, déclarations et
arrests de Sa Majesté concernant l’administration de la Justice & la Police
des Colonies françaises de l’Amérique, & les Engagés, Paris, MDCCXLIV
(1744), page 81 et suivantes (ouvrage disponible sur
le site Gallica (lien, vue 79 et suivantes).
Photographie : militante décoloniale arborant une pancarte didactique
Photo publiée dans Marianne
Détail
Présentation
Cette
photo nous présente une militante décolonialiste (au regard doux, touchant)
arborant une pancarte (artisanale) sur laquelle sont énumérées les preuves du
« racisme d’État » qui prévaut en France, selon la doxa et la
propagande de cette mouvance.
Je
m’intéresserai seulement à la première « preuve » de cette liste :
« 1685 :
Code NOIR
Homme NOIR
= meuble »
Analyse : quelques inexactitudes
Cet
énoncé de six mots contient au moins trois erreurs (pas mal !).
1ère
inexactitude
La
date de 1685, qui renvoie prétendument au « Code noir », correspond en
fait seulement au premier édit promulgué sur la question de l’esclavage dans les
colonies françaises, intitulé « Edit du Roi Touchant la Discipline des
Esclaves Nègres des Isles de l'Amérique Française, donné à Versailles au mois
de mars 1685 »
Or,
à cette date, il n’était pas question de « Code noir », cette
formulation n'est apparue qu’au XVIIIème siècle, pour désigner les recueils d'édits sur l'esclavage (dans la terminologie chère aux progressistes radicaux, genre Decoque et Laraire, le « Code noir » serait une fiction, un artefact, une construction éditoriale).
Cette erreur est la moins grave du lot, mais elle indique assez bien le rapport que la mouvance décoloniale entretient avec les faits historiques (c'est-à-dire avec les éléments textuels disponibles)..
2ème
inexactitude
L’édit
de 1685 n’établit pas de relation entre les concepts « homme noir »
et « meuble », pour la raison qu'il ne parle pas des noirs, mais des esclaves. On peut donc y trouver une relation entre les
concepts « esclave » et « meuble ». En effet, l’article 44
de l’édit de mars 1685 énonce : « Déclarons les esclaves être
meubles ».
Bien sûr, les esclaves des colonies françaises étaient des noirs, des personnes originaires d’Afrique noire ou
descendantes de personnes originaires d’Afrique noire déportées en Amérique. En revanche, tous les
noirs vivant dans les colonies françaises n’étaient pas ipso facto des esclaves,
puisque, notamment l’article 55 (« Les Maîtres âgés de vingt ans pourront
affranchir leurs Esclaves par tous actes entre-vifs, ou à cause de mort, sans
qu’ils soient tenus de rendre raison de leur affranchissement, ni qu’ils ayent
besoin d’avis de parens, encore qu’ils soient mineurs de vingt-cinq ans)
prévoit la possibilité d’affranchissement des esclaves.
Et bien sûr, il y avait en Afrique
de nombreux noirs libres, dont certains participaient de façon non négligeable à
la traite transatlantique !.
3ème
inexactitude
Elle réside dans le sens à donner au mot « meuble ». Ce que veut
nous dire la pancarte de la militante décoloniale, ce dont elle veut que nous nous indignions, que nous nous scandalisions, c’est que « dans le
Code noir, les noirs sont considérés comme des objets d’ameublement, des
chaises, des tables, ou, d’une façon plus générale, des choses ».
La
formulation de l’article 44 : « Déclarons les esclaves être
meubles » laisse cependant planer un doute ; nous ne lisons pas
« être des meubles », mais « être meubles ». Le mot
« meuble » est ici un adjectif, pas un nom. Il ne se réfère
probablement pas au sens restreint du mot « meuble » (pièce
d’ameublement), mais à un sens plus ancien, qui existe toujours en français,
quoique pas très courant lorsque le mot est employé seul : « ce qui
peut être déplacé » par opposition à « ce qui ne peut pas être
déplacé » (l’immeuble). Le mot « meuble » renvoie en fait
probablement à une formulation juridique : « bien meuble ».
Si
on lit l’article complet : « Déclarons les Esclaves être meubles,
& comme tels entrer en la Communauté, n’avoir point de suite par
hypothèque, & se partager également entre les cohéritiers sans préciput, ni
droit d’aînesse ; n’être sujets au douaire Coutumier, au Retrait Féodal
& Lignager, aux Droits Féodaux & Seigneuriaux, aux formalités des
Décrets, ni aux retranchemens des quatre Quints, en cas de disposition à cause
de mort, ou testamentaire.», la probabilité devient une certitude ; il ne
s’agit pas de considérations philosophiques réduisant les esclaves (et non pas les noirs) à l’état de « choses », mais de droit de la propriété.
Par
définition, l’esclave est un bien, un être humain qui est la propriété d’un autre
être humain. Cela suffit pour que l’esclavage soit considéré (notamment par
moi) comme scandaleux et inacceptable ; il est dès lors de peu d’importance que l’esclave soit
considéré comme un bien « meuble », cela ne change rien à sa condition.
D’autres
articles de l’édit de 1685 prouvent d’ailleurs que ses auteurs ne considéraient pas les esclaves comme des choses, mais comme des êtres humains.
Je citerai l’article 2 : « Tous les Esclaves qui seront dans nos
Isles, seront bâtisés & instruits dans la Religion Catholique, Apostolique
& Romaine. Enjoignons aux Habitans qui achèteront des Nègres nouvellement
arrivés d’en avertir les Gouverneur & Intendant* desdites Isles dans
huitaine au plus tard, à peine d’amende arbitraire, lesquels donneront les
ordres nécessaires pour les faire instruire & bâtiser dans le temps
convenable.»
Il est évident
qu’on ne peut baptiser et instruire dans la religion catholique que des êtres
humains, pas des animaux ou des choses ! Bien sûr, on pourrait reprocher à
l’édit de 1685 de priver les esclaves de leur liberté de conscience, mais cela
s’appliquait à tous les sujets du roi de France, blancs ou noirs, dans les
colonies comme en métropole.
Commentaires :
inexactitude ou mensonge ?
Lorsqu’il
y avait encore des militants communistes, beaucoup d’entre eux étaient des gens
tout à fait honnêtes et serviables, qui énonçaient en toute bonne foi de
nombreuses inexactitudes à propos de l’URSS, des dirigeants soviétiques, de
Staline, etc. En revanche, les dirigeants du parti, qui étaient au courant de
la situation réelle, proféraient des mensonges, parce qu’on ment lorsqu’on
énonce sciemment une inexactitude.
La porteuse de la pancarte sur le
racisme d’État est sans doute une brave militante décolonialiste, qui croit
sincèrement à l’exactitude ce qui est écrit sur sa pancarte. On peut
supposer qu’elle n’a pas pris la peine de lire le « Code noir »,
qu’elle transmet ce qui lui a été enseigné par des gens en qui elle a toute
confiance. Elle a donc une part de responsabilité, mais on ne peut pas
considérer a priori qu’elle ment, malgré son éventuelle appartenance à la Brigade
anti-négrophobie (la légende de la photo n'est pas très claire sur ce point).
La mouvance décoloniale comporte
aussi des calibres intellectuels de plus haut niveau, des gens qui ont été professeur d’université
(Sala-Molins) ou élève à Normale Sup (Tin), qui savent certainement que dans
l’article 44 de l’édit de 1685, « meuble » ne signifie pas « pièce
d’ameublement » et que le mot « meuble » ne se rapporte pas aux « hommes
noirs » (ni aux « femmes noires » du reste).
La preuve qu’ils le savent, c’est
qu’ils n’emploient pas cet argument dans leur pétition de 2017 contre Colbert.
Ils n’en portent pas moins l'entière responsabilité de la profération d’une
inexactitude dont ils ont connaissance, d’un mensonge donc.
Le
cas de Jean-Marc Ayrault
Les choses sont plus graves dans
le cas de Jean-Marc Ayrault, qui a récemment utilisé l’argument du « meuble »
dans sa diatribe contre Colbert.
La question se pose : Jean-Marc Ayrault
ment-il ou profère-t-il seulement une inexactitude ? Est-il un compagnon
de route ou un idiot utile ?
Je pense que son bagage intellectuel
de niveau universitaire (licence d'allemand) lui permet de comprendre, s’il a lu le texte de
l’article 44, que « meuble » n’y signifie pas « pièce
d’ameublement ». S’il ne l’a pas lu, s’il s’est fié à des informateurs peu
honnêtes (Sala-Molins ?), il n’en est pas moins entièrement responsable de
l’erreur qu’on lui aurait fait commettre.
A venir
*Jean-Marc Ayrault : mémoire de l'esclavage ou falsification de l'histoire ?
Création : 4 novembre 2020
Mise à jour : 9 novembre 2020
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH91. Sur un mensonge des décoloniaux, de leurs compagnons de route et autres idiots inutiles
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2020/11/du-mensonge-chez-les-decoloniaux.html
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