mardi 14 avril 2015

40. Gérard Noiriel 2 La loi de 1889 : contenu

Quelques informations sur le livre Réfugiés et sans-papiers (1999) ; analyse des énoncés relatifs à la loi du 26 juin 1889, concernant le contenu de la loi


Classement : histoire ; droit ; France




Ceci est une suite de la page Gérard Noiriel 2 La loi de 1889 : origines, elle-même suite de la page A propos du livre de Gérard Noiriel, Réfugiés et sans-papiers dans laquelle se trouvent les informations générales sur cet ouvrage et les pages qui y sont liées.
On trouvera le texte intégral de la loi de 1889 sur une page spécifique.
Après avoir présenté ce que Gérard Noiriel écrit sur les origines de la loi de 1889, j’en viens à ce qu’il écrit à propos de son contenu. 

Citations
En gras : expressions analysées en « remarques »
La première citation est consécutive au passage sur le discours dans lequel le député Antonin Dubost déplorait que les étrangers puissent résider en France de générations en générations en conservant leur statut national (page précédente).

Citation 1
Page 88
« Mais pour contraindre les enfants d’immigrés à adopter la nationalité française, il faut renoncer à la toute-puissance du jus sanguinis et réhabiliter le droit du sol. Ce qui fait l’importance de la loi de 1889, ce n’est pas qu’elle soit plus « libérale » que les précédentes, mais qu’elle mette fin aux confusions antérieures liées à la pérennité des groupes « mixtes », bénéficiant des avantages de l’admission à domicile, mais refusant les devoirs de la citoyenneté. La loi de 1889 est un moment fondateur qui fixe et rationalise le droit de la nationalité en France jusqu’à nos jours, par cette combinaison de deux principes du sol et du sang. »
Remarques
Noter que Gérard Noiriel ne prend pas la peine de mentionner le contenu de la loi de 1889, à savoir que, désormais :
* les enfants nés en France d’un père étranger né à l’étranger sont Français à la naissance mais peuvent renoncer à la nationalité française à la majorité (cette disposition correspond à celle de la loi de 1851, désormais appliquée à la première génération née en France) ;
* les enfants nés en France d’un père étranger lui-même né en France sont Français à la naissance sans droit de renonciation.
Au lieu de cela, on a droit à des énoncés rhétoriques pas très adéquats, indiquant par exemple que cette loi remet en question « la toute-puissance du jus sanguinis » : en fait, le « droit du sang » n’était pas « tout-puissant », puisque le « droit du sol » existait déjà dans la France du XIXème, permettant à un étranger né en France de s’en prévaloir pour devenir français ; il ne s’agissait donc pas de « réhabiliter le droit du sol », mais de le renforcer en le rendant contraignant.
La phrase « elle [met] fin aux confusions antérieures liées à la pérennité des groupes "mixtes" » complique les choses ; il aurait été bien suffisant de dire qu’elle met fin à la pérennité des groupes « mixtes » ; mais l’auteur n’a pas pu résister à l’emploi du mot « confusion ».
Le commentaire « ce qui fait l’importance de la loi de 1889, ce n’est pas qu’elle soit plus "libérale" que les précédentes » est une critique (implicite) de l’idée selon laquelle la loi de 1889 est au cœur de la « tradition républicaine » perçue dans une perspective d’ « ouverture à l’étranger » ; il est tout à fait exact qu’il ne s’agit pas du tout d’une loi libérale, puisqu’elle contraint les étrangers de deuxième génération à devenir Français. A l’époque, ça n’a pas forcément été apprécié, ni par les intéressés, ni par leurs Etats d’origine. A noter tout de même que le service militaire, devenu universel, est moins long en 1889 qu’il avait pu l’être auparavant.
En revanche, l’idée que la loi de 1889 constitue une « rationalisation du droit de la nationalité » est infondée : à mon avis, cette loi est ni plus ni moins rationnelle que le système antérieur. Quant aux effets pratiques des différents systèmes, leur « rationalité » dépend des circonstances.
On peut certes dire que les choses sont plus claires du point de vue de la présentation : au lieu d'avoir séparément les dispositions du Code civil (articles 9 et 10, notamment) et celles des lois votées ultérieurement, tout est maintenant regroupé en un article de loi modifiant des articles du Code civil. De ce point de vue, les choses sont plus rationnelles, mais seulement d'un point de vue pédagogique (noter que le Code civil polonais de 1825 avait procédé à celle « rationalisation » plusieurs décennies avant).

Citation 2
Page 88-89
« Ce débat […] montre qu’une question qui n’intéressait au départ que les juristes spécialisés dans l’interprétation du Code civil […] est devenue un formidable enjeu social […] Les plus chauds partisans d’un droit de la nationalité plus ouvert sont les représentants du grand patronat industriel qui ont un besoin vital de main-d’œuvre, les élus des régions ouvrières qui cherchent à empêcher la concurrence étrangère et les militaires qui veulent reconstruire une armée puissante, c'est-à-dire forte du nombre de ses soldats. A l’opposé, les défenseurs de l’identité et de la « race » françaises, recrutant massivement dans les milieux aristocratiques qui trouvent là un excellent moyen de renouer avec les vieux principes généalogiques, restent partisans d’un jus sanguinis pur et dur. La loi de 1889 […] ne s’explique donc pas directement par la « philosophie des droits de l’homme » ou la « tradition républicaine ». Elle constitue un compromis entre des groupes sociaux pour lesquels la question nationale est devenue un enjeu de première /// importance. Les concessions faites aux militants du droit du sol permettent, en quelques années, une progression considérable du nombre des naturalisés, c'est-à-dire du nombre des ouvriers et des soldats dont le pays a besoin. Mais on oublie trop souvent de mentionner les concessions que la loi de 1889 a faites aux partisans du droit du sang. En écartant les nouveaux naturalisés des fonctions électives pendant dix ans, la loi réintroduit le principe monarchique d’une naturalisation à deux vitesses qui avait été supprimé peu de temps auparavant.
La société française dispose donc à présent de critères précis pour différencier le national de l’étranger. »
Remarques
1) une rhétorique mystificatrice
Les superlatifs (« formidable enjeu social », « un enjeu de première importance », « les plus chauds partisans », « un besoin vital ») ont pour effet (recherché ?) de détourner l'attention des trous de l'argumentation ; en effet, s’il est compréhensible que l’armée soutienne la loi de 1889 (elle disposera de plus de conscrits), on ne voit pas comment cette loi pourrait apporter quoi que ce soit au « grand patronat industriel », puisqu’elle concerne des personnes résidant en France depuis leur naissance et qui, Français ou étrangers, doivent trouver à s’employer en France ; au contraire, le fait de les contraindre ou de les inciter fortement à devenir Français est, à première vue, défavorable au patronat (qui ne disposera plus de travailleurs exemptés a priori du service national) ; on retrouve la même erreur un peu plus bas : « des ouvriers et des soldats dont le pays a besoin ». De même, cette loi ne peut rien apporter aux « élus des régions ouvrières qui cherchent à empêcher la concurrence étrangère » pour la même raison (il ne s’agit pas d’immigrés mais de personnes nées et vivant en France).
2) une certaine confusion lexicale et conceptuelle
A la fin du passage, l’auteur fait une erreur sur le mot « naturalisés » (« Les concessions faites aux militants du droit du sol permettent une progression considérable du nombre des naturalisés »). En réalité, les gens qui deviennent alors français du fait qu’ils sont nés en France ne sont pas inclus dans la catégorie « naturalisés », ni actuellement, ni à l'époque : l’article 1 de la loi (modification de l'article 8 du Code civil) différencie sans la moindre « ambigüité » ni la moindre « confusion » les Français naturalisés et les Français par filiation ou par naissance (voir extrait infra). Les restrictions statutaires (article 3 de la loi de 1889) concernent les naturalisés (étrangers nés de parents étrangers à l'étranger, venus vivre en France), et non pas ceux qui sont devenus français du fait de leur naissance en France. Il ne s'agit donc pas d'une « concession faite aux partisans du droit du sang », mais d'une mesure de xénophobie restreinte.
La dernière remarque de Gérard Noiriel est elle aussi discutable : les critères de 1889 ne sont pas plus précis que ceux d’avant 1889, ils sont différents. 
Il est certain que la nationalité fondée sur le lieu de naissance prête moins à contestation que celle fondée sur la filiation, comme les médias en faisaient état il y a deux ou trois ans (cas des personnes nées à l'étranger et ayant du mal à prouver leur filiation française). Mais, en tout état de cause, il s’agit de problèmes administratifs (non détention de documents), et non pas conceptuels.

Extraits de la loi de 1889
« Article premier
Les articles 7, 8, 9, 10, 12, 13, 17, 18, 19, 20 et 21 du Code civil sont modifiés ainsi qu’il suit : […]
Art. 8. Tout Français jouira des droits civils.
Sont français :
Tout individu né d’un Français en France ou à l’étranger.
[…] ;
Tout individu né en France de parents inconnus ou dont la nationalité est inconnue ;
Tout individu né en France d’un étranger qui lui-même y est né ;
Tout individu né en France d’un étranger et qui à l’époque de sa majorité, est domicilié en France, à moins que, dans l’année qui suit sa majorité, telle qu’elle est réglée par la loi française, il n’ait décliné la qualité de Français et prouvé qu’il a conservé la nationalité de ses parents par une attestation en due forme de son gouvernement, laquelle demeurera annexée à la déclaration, et qu’il n’ait en outre produit, s’il y a lieu, un certificat constatant qu’il a répondu à l’appel sous les drapeaux, conformément à la loi militaire de son pays, sauf les exceptions prévues aux traités ;
Les étrangers naturalisés.
[…]

Article 3
L’étranger naturalisé jouit de tous les droits civils et politiques attachés à la qualité de citoyen français. Néanmoins il n’est éligible aux assemblées législatives que dix ans après le décret de naturalisation, à moins qu’une loi spéciale n’abrège ce délai. Ce délai pourra être réduit à une année.
[…] »



Création : 14 avril 2015
Mise à jour : 13 septembre 2017
Révision : 13 septembre 2017
Auteur : Jacques Richard
Blog : Territoires
Page : 40. Gérard Noiriel 2 La loi de 1889 : contenu
Lien : http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2015/04/gerard-noiriel-2-la-loi-de-1889-contenu.html








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