Classement : histoire du XX° siècle ; Première Guerre mondiale ; traités ; Deuxième Guerre mondiale
*Guy
Konopnicki, « Le traité de Versailles efface l’Europe de Metternich »,
Marianne n° 1130, 9 novembre 2018,
pages 60-61
Textes
a)
« Clemenceau considère le Rhin comme la frontière naturelle. Il entend
donc détacher la Sarre […] et séparer la Rhénanie, pour en faire un Etat
indépendant, qui ressemble fort à la Confédération du Rhin, imposée par Napoléon
en 1806. » (page 60)
b)
« Il faut donc tout donner à ces peuples qui s’étaient soulevés en 1848,
contre ces Habsbourg maudits, qui avaient dessiné la carte de l'Europe à Vienne,
sur fond de défaite et d’humiliation de la France. [il évoque ensuite : la
création de la Tchécoslovaquie, le dépeçage de la Hongrie, la création du
royaume de Serbie (future Yougoslavie]. » (page 61, colonne 1)
c)
« La Pologne s’est servie elle-même, récupérant la totalité de la Galicie
autrichienne et repoussant les bolcheviks russes ; elle renaît, après deux
siècles, sur le plus vaste territoire de son histoire. » (page 61, colonne
3)
d)
« Ainsi dessinée la carte de l'Europe prépare directement une nouvelle
guerre, par l’humiliation de l’Allemagne et le démantèlement de l’Autriche-Hongrie. »
(page 61, colonne 3)
Analyse
Texte
a) Une erreur factuelle (la Confédération du Rhin)
Konopnicki
fait ici une erreur relevant du pédantisme ; il y a d’autant moins de
rapport entre la Confédération du Rhin de 1806 et la Rhénanie de 1918 qu’en
1806, la France (l’Empire français de Napoléon) inclut la totalité des
territoires allemands à l’ouest du Rhin, ainsi que le littoral de la mer du
Nord jusqu’au Danemark (Brême et Hambourg, notamment) ! La Confédération
du Rhin regroupe les Etats allemands amis de la France, c'est-à-dire tous, à l’exception
de l’Autriche et de la Prusse ; ils sont tous situés à l’est du Rhin.
Texte
d) Une approximation conceptuelle (le traité de Versailles cause de la guerre)
L’idée
que « le traité de Versailles est la cause d’une humiliation de l’Allemagne,
donc la cause de la Deuxième Guerre mondiale » est un lieu commun de
faible intérêt.
Tout
d’abord, les nationalistes allemands se sont sentis « humiliés » non
pas à partir du traité de Versailles, mais dès le mois de novembre 1918,
lorsque l’armistice a été considéré comme un « coup de poignard dans le
dos d’une armée victorieuse ». Pour eux, l’armée allemande n’a pas été
vaincue, mais trahie par les soldats mutinés de cette période, ainsi que par
les politiciens de gauche, juifs, républicains, etc. Le traité de Versailles est
finalement secondaire dans cette perspective ; néanmoins, il fera l’objet
d’une propagande systématique, en partie fondée du reste (« Diktat »).
L’erreur des Alliés a été de ne pas envahir l’Allemagne et de ne pas écraser l’armée
allemande.
En
second lieu, on peut admettre que par le biais de la propagande nationaliste,
le traité de Versailles ait joué un rôle dans l’avènement du régime nazi ;
mais c’est encore un rôle secondaire, car le facteur essentiel a été la crise
de 1929 (et les politique d’austérité des gouvernements de droite, plus ou
moins nationalistes, du reste) et le chômage de masse qui a touché l’Allemagne.
Textes
b et d) Un lieu commun (pourquoi l'Autriche-Hongrie n'a-t-elle pas été maintenue ?)
Konopnicki brode ici sur le thème du « démantèlement
fâcheux de l’Autriche-Hongrie », dans lequel sont incriminés à la fois les
Français (et notamment Clemenceau) et les nationalistes d’Europe centrale (Polonais,
Tchèques, Serbes, notamment).
Il est certain que, si on se place du
point de vue de Sirius (ou du point de vue de l’observateur « impartial »
de la fin du XX° siècle), le démantèlement de l’Autriche-Hongrie n’a pas été
nécessairement la meilleure chose du monde (voir le livre de François Fejtö sur
le sujet), que l’Autriche-Hongrie d’avant 1914 constituait un cadre
civilisationnel plutôt bon, etc. etc. Néanmoins, il laissait tout de même aux
dirigeants hongrois une grande liberté d’oppression sur leurs minorités
(Slovaques, Roumains, Croates) et ces mêmes dirigeants avaient bloqué toute
évolution de la « Double monarchie » vers une « Monarchie
multiple » (qui aurait donné l’égalité aux Polonais de Galicie, aux
Tchèques de Bohême, aux Croates, etc.). Le choix de suivre l’Allemagne en 1914
et, en conséquence, de subir la défaite en 1918, pouvait difficilement aboutir au maintien d’une entité
austro-hongroise même renouvelée : il est évident que la perspective de l’indépendance
était plus attractive (quoiqu’en partie fallacieuse). Qui aurait-pu être le vecteur
de cette idée ? Ni les Austro-allemands, ni les Hongrois, bien sûr, ni les
anciennes minorités… Seuls les vainqueurs pouvaient l’être. Mais il aurait
fallu beaucoup d’intelligence pour comprendre que le principe des nationalités (soutenu
par Wilson) aurait été mieux préservé dans un cadre confédéral que dans le
cadre des Etats-nations, et de toute façon, il aurait fallu lutter avec les
forces vives des nationalités minoritaires qui étaient pour l’indépendance.
A mon avis, le « reproche » d’avoir
démantelé l’Autriche-Hongrie a une certaine valeur théorique, mais aucune sur le plan politique si on se place dans le monde de 1918.
Texte c) un autre lieu commun (pourquoi la Pologne existe-t-elle ?)
Ici on a droit au couplet anti-polonais (que
l’on trouve par exemple chez Gérard Noiriel dans La Tyrannie du national, voir la page Gérard
Noiriel et la Pologne 2 : erreurs et approximations) ; il est clair
que les Polonais ne sont pas des anges, mais je ne vois pas au nom de quoi on
peut leur reprocher d’avoir voulu recréer un Etat détruit en 1795 seulement (123 ans, et non pas « deux siècles avant »),
volonté proclamée (en actes et en paroles) de 1795 à 1918 ! Comment
auraient-ils pu ne pas profiter de la situation de 1918, qu’ils
soient du côté austro-allemand (comme Pilsudski) ou du côté allié (comme
Dmowski). Là encore, c’est de l’histoire-fiction, inutile et inepte, qui se
trouve en arrière-plan de tels énoncés.
Quant
à l’assertion selon laquelle la Pologne de 1923-1939 contrôlait « le plus
vaste territoire de son histoire. », elle n’est vraie que si on réduit la Pologne
d’avant les partages au royaume de Pologne (la « Couronne ») en excluant le duché
de Lithuanie ; or, à sa plus grande extension, en 1634, la « République
des Deux nations » incluait les régions autour de Kiev, Poltawa,
Tchernigov, Smolensk, Minsk, atteignant les approches de Riga au nord, tous
territoires qui se trouvaient hors des frontières de la Pologne de l'entre-deux-guerres.
Création : 12 novembre 2018
Mise à jour : 19 novembre 2018
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 39. A propos du traité de Versailles (1919)
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2018/11/a-propos-du-traite-de-versailles-1919.html
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