mercredi 28 août 2019

QH 63. Une erreur récurrente à propos de la Révolution française

Quelques remarques à propos de la Révolution française, notamment de la période de la Terreur


Classement : histoire ; France ; Révolution française ; Terreur




Référence
* Xavier Mauduit, « Le cours de l’histoire », 26 août 2019, émission consacrée à l’année 1989

L’auteur
Xavier Mauduit est agrégé d’histoire, doctorant en histoire, et intervenant à la radio et à la télévision.

Texte
Il s’agit d’une remarque de l’animateur qui, demandant si l’année 1989 a marqué une inflexion dans la pensée historique sur la Révolution française, évoque notamment : « des auteurs comme François Furet, qui voient dans la Terreur de 1793 un écho de la terreur stalinienne des années 30 ».

Analyse et commentaires
Une curieuse inversion temporelle
Je dois dire que je suis un peu sidéré par une conception de l’histoire dans laquelle un événement donné est « l’écho » d’un événement postérieur.
Admettons qu’il s’agisse d’un lapsus.
Ce n’est pas une excuse. Il me semble que faudrait faire un peu plus attention à ce qu’on dit dans le poste !

Un échantillonnage tout à fait incorrect
De toute façon, il est inepte de vouloir identifier ce qui s’est passé en France de 1792 à 1794 (précisément d’août 1792, renversement de la monarchie à juillet 1794, chute de Robespierre), soit deux années, avec ce qui s’est passé en URSS entre octobre 1917 (prise de pouvoir par les bolcheviks)  et 1953 (mars : mort de Staline, puis ses conséquences), soit près de quatre décennies.
En URSS, on a affaire à un système caractérisé par le contrôle étroit d’un parti sur la société, avec des luttes politiques qui n’ont lieu qu’au sommet du parti (et pour ainsi dire inexistantes à partir de 1928) alors que la période de la Terreur en France est caractérisée par l’évolution incontrôlée et très rapide des rapports de force entre différents groupes politiques, suite à l'insurrection du 10 août 1792 et à la chute du régime de monarchie constitutionnelle : les sans-culottes parisiens (avec un antagonisme entre les sections modérées et les sections extrémistes), la Commune de Paris, dominée par les extrémistes (hébertistes) et la Convention, le seul pouvoir légal au niveau national, entièrement acquise à la République, mais avec des variantes considérables (Girondins, Montagnards et le groupe centriste de la Plaine). La situation est d'autant plus instable que la France est en guerre, contre l'Autriche et la Prusse depuis avril 1792, puis (à partir de 1793) contre une coalition plus étendue.

La vie politique en France sous la Terreur
Pour simplifier, car elle est assez complexe, on peut dire que le rapport de force est très favorable aux sans-culottes extrémistes d’août 1792 à juin 1793 (date à laquelle ils imposent par les armes à la Convention la mise en accusation des députés girondins, qui seront condamnés à mort et exécutés) ; mais il ne leur est pas possible d’anéantir cette « convention », qui est une assemblée nationale (ce serait provoquer un soulèvement général alors qu’à l’été 1793, le quart du territoire est déjà en état d’insurrection du fait des royalistes ou des Girondins) ; le rapport de force s’inverse ensuite en faveur de l’assemblée, même si les députés doivent souscrire à la politique de Terreur sous la direction des Conventionnels les plus extrémistes, le groupe de Robespierre, qui ne sont cependant pas alignés sur les extrémistes parisiens : au printemps 1794, les leaders hébertistes (notamment Hébert) sont éliminés en même temps que les dantonistes, modérés (notamment Danton et Desmoulins). Après cela, les robespierristes ne réussiront pas à prendre l'ascendant sur les sans-culottes extrémistes et le « 9 thermidor » (27 juillet 1794) semble correspondre à une reprise du pouvoir par la Convention par l’élimination (violente) des robespierristes et la mise au pas de la Commune et des sections extrémistes.(la Commune de Paris résiste à peine au coup d’État).
D’un certain point de vue, le 9 thermidor est « contre-révolutionnaire » (d’où le mépris dans lequel une partie de la gauche française le tient), mais ce retour en arrière était manifestement inéluctable (il est difficile de comprendre que les Républicains, très minoritaires, aient pu prendre le pouvoir, et le conduire avec suffisamment de fermeté pour vaincre à l’intérieur et à l’extérieur ; ils ont profité d'une conjoncture favorable à l'été 1792) ; il s’ensuit une cessation rapide des pratiques de la Terreur et l’établissement d’un régime de dictature républicaine modérée (fondée sur le soutien tacite des armées, incontestablement républicaines), à la fois hostile aux extrémistes et aux royalistes (qui réapparaissent alors au grand jour), régime qui débouchera en fin de compte sur la dictature militaro-monarchisante du général Bonaparte.

La Révolution française et l'histoire de l'URSS
Si on compare avec la Russie soviétique et l’URSS, cette période française de la Terreur ne pourrait correspondre qu’à la période de la guerre civile (1918-1921) ; il est évident que si, après la guerre civile, il avait été établi en Russie un régime plus normal, même une dictature sans prétentions, on ne parlerait pas de « totalitarisme » ; mais celui-ci, instauré pendant la guerre civile, a été maintenu et même renforcé pendant plusieurs décennies de « paix ».
En réalité, cette comparaison restreinte n’est même pas exacte : le « totalitarisme » était en fait beaucoup plus poussé en Russie pendant la guerre civile qu’en France pendant la Terreur.

Conclusion
On peut maintenant aborder le problème sous un autre angle : en quoi cette période révolutionnaire française de 1792-1794 pourrait-elle être prémonitoire du régime stalinien en URSS, voire du « totalitarisme » en général (communiste, nazi et fasciste), comme le prétendent un certain nombre d'historiens et pseudo-historiens ?

A venir
*Le « totalitarisme » et la Révolution française



Création : 27 août 2019
Mise à jour : 
Révision : 30 août 2019
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 63. Une erreur récurrente à propos de la Révolution française
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2019/08/une-erreur-recurrente-propos-de-la.html








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