jeudi 17 octobre 2019

QH 71. La « responsabilité de la France dans la déportation des Juifs »

Quelques remarques sur un lieu commun et sur son utilisation par des chroniqueurs de Charlie Hebdo



Classement : histoire ; France ; Seconde Guerre mondiale






Références
*Jacques R., « Maréchal le retour », Charlie Hebdo n° 1420, 9 octobre 2019, page 3
*Guillaume Erner, « Chirac encore plus sympa mort que vivant », Charlie Hebdo n° 1419, 2 octobre 2019, page 4
*Jean-Yves Camus, « Vel’ d’Hiv’ Le jour où Chirac a (vraiment) servi la France »,  Charlie Hebdo n° 1419, 2 octobre 2019, page 4

J’ai eu l’honneur d’être publié dans la rubrique « On a reçu ça », c'est-à-dire le courrier des lecteurs de Charlie Hebdo..

Texte 1 : les extraits de mon courrier cités par Charlie Hebdo
En l’occurrence, mon texte a été considérablement abrégé, sans que ce soit indiqué, de sorte qu’il manque de clarté, notamment parce qu'il s’agissait d’une réaction aux chroniques de Guillaume Erner et de Jean-Yves Camus, affirmant que Jacques Chirac avait déclaré, lors du discours du Vel’ d’Hiv’ (1995) « la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs ».

Texte 2 : Guillaume Erner (extrait)

Texte 3 : Jean-Yves Camus (extrait)

Texte 4 : mon courrier à Charlie Hebdo (plus spécialement adressé à Jean-Yves Camus) 
« Je suis un peu surpris de l’unanimité avec laquelle vous et Guillaume Erner célébrez Chirac parce qu’il aurait reconnu « la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs ».
Je demande : c’est quoi, au juste, « la France » ?
Je vais maintenant analyser votre texte, le plus construit sur le plan historique :
a) « les 16 et 17 juillet 1942, 9 000 policiers et gendarmes français effectuèrent, selon un scénario mis au point par leur hiérarchie administrative, la plus importante rafle de Juifs promis naturellement aux camps de la mort. » : leur hiérarchie administrative, qui était donc formée par des gens qui étaient au service du régime de Vichy.
b) « l’allocution comporte cette phrase décisive : « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français » : remarquons l’adjectif « secondée » (en regard de « la folie criminelle de l’occupant ») et le constat que Chirac incrimine clairement « l’État français », c'est-à-dire le régime de Vichy (il dit certes aussi « des Français », mais il ne s’agit pas de quidams de nationalité française, présents là par hasard, il s’agit de gens missionnés par le régime de Vichy !)
c) « des historiens, souvent étrangers, avaient démontré comment la majorité de l’administration française, nombre de ses grands commis en tête, grisés par des promotions faciles et précoces, s’était mise sans vergogne à devancer les exigences nazies dans la rédaction et l’application du statut des Juifs » : statut des Juifs qui est une mesure prise par le régime de Vichy ; statut des Juifs qui ne comporte pas par ailleurs, de volet « déportation » ; quant au gens qui « devancent les exigences nazies », ne pourrait-on pas les qualifier de « collaborateurs » (la « collaboration » est d’ailleurs une option choisie clairement par le régime de Vichy dès 1940).
Donc :
1) votre texte lui-même ne démontre pas que « la France » ait eu une part de responsabilité dans la déportation des Juifs, seulement que l’État français (le régime de Vichy) en a eu une ;
2) votre texte lui-même ne démontre pas que Chirac ait parlé de « la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs », il démontre seulement que Chirac (dans sa « phrase décisive ») a parlé du rôle de « l’État français ».
Incontestablement, le régime de Vichy, autoproclamé « État français », ne peut pas être décrété arbitrairement « étranger à la France » ; mais si on ne peut pas dire qu’il n’y avait de « France » qu’à Londres (et dans la Résistance), on ne peut pas non plus dire qu’il n’y avait de « France » qu’à Vichy. Et on peut rétrospectivement préférer une de ces France à l’autre.
Par ailleurs, il y a des Français qui ont spontanément joué un rôle dans la déportation des Juifs, indépendamment du régime de Vichy : ceux qui ont dénoncé des Juifs ; ceux qui ont écrit des articles antisémites dans les journaux de Paris, etc. Ce sont des gens que l’on peut classer comme « collaborateurs ».
J’arrive en fin de compte à la conclusion que ceux que l’on peut incriminer dans la déportation des Juifs, c’est 1) le régime de Vichy 2) des collaborateurs agissant indépendamment du régime de Vichy. Ces deux éléments font partie de la France, mais ne sont pas la France.
La phrase « la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs » n’a de sens que si on admet que « la France » signifie ici « le régime de Vichy et les collaborateurs agissant spontanément contre les Juifs » : alors, autant le dire de cette façon, plutôt que de se complaire dans un lieu commun non signifiant en lui-même. »

Ça a tout de même plus d’allure que les extraits proposés ! C’est évidemment un peu long pour un courrier des lecteurs, mais peut-être que d’autres extraits auraient été plus pertinents et auraient mieux correspondu à l’original.

À venir
*Analyse plus approfondie de la question



Création : 17 octobre 2019
Mise à jour :
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 71. La « responsabilité de la France dans la déportation des Juifs »
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2019/10/la-responsabilite-de-la-france-dans-la.html







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