Quelques remarques sur un lieu commun et sur son utilisation par des chroniqueurs de Charlie Hebdo
Classement : histoire ;
France ; Seconde Guerre mondiale
Références
*Jacques
R., « Maréchal le retour », Charlie
Hebdo n° 1420, 9 octobre 2019, page 3
*Guillaume
Erner, « Chirac encore plus sympa mort que vivant », Charlie Hebdo n° 1419, 2 octobre 2019,
page 4
*Jean-Yves
Camus, « Vel’ d’Hiv’ Le jour où Chirac a (vraiment) servi la
France », Charlie Hebdo n° 1419, 2 octobre 2019, page 4
J’ai
eu l’honneur d’être publié dans la rubrique « On a reçu ça »,
c'est-à-dire le courrier des lecteurs de Charlie Hebdo..
Texte 1 :
les extraits de mon courrier cités par Charlie Hebdo
En
l’occurrence, mon texte a été considérablement abrégé, sans que ce soit indiqué, de
sorte qu’il manque de clarté, notamment parce qu'il s’agissait d’une réaction aux
chroniques de Guillaume Erner et de Jean-Yves Camus, affirmant que Jacques Chirac avait déclaré, lors du discours du Vel’ d’Hiv’ (1995)
« la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs ».
Texte
2 : Guillaume Erner (extrait)
Texte
3 : Jean-Yves Camus (extrait)
Texte 4 : mon courrier à Charlie Hebdo (plus spécialement adressé à
Jean-Yves Camus)
« Je suis un peu surpris de
l’unanimité avec laquelle vous et Guillaume Erner célébrez Chirac parce qu’il
aurait reconnu « la responsabilité de la France dans la déportation des
Juifs ».
Je demande : c’est quoi, au juste,
« la France » ?
Je vais maintenant analyser votre texte,
le plus construit sur le plan historique :
a) « les 16 et 17 juillet 1942,
9 000 policiers et gendarmes français effectuèrent, selon un scénario mis
au point par leur hiérarchie administrative, la plus importante rafle de Juifs
promis naturellement aux camps de la mort. » : leur hiérarchie
administrative, qui était donc formée par des gens qui étaient au service
du régime de Vichy.
b) « l’allocution comporte cette
phrase décisive : « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été
secondée par des Français, par l’État français » : remarquons
l’adjectif « secondée » (en regard de « la folie criminelle de
l’occupant ») et le constat que Chirac incrimine clairement « l’État
français », c'est-à-dire le régime de Vichy (il dit certes aussi
« des Français », mais il ne s’agit pas de quidams de nationalité
française, présents là par hasard, il s’agit de gens missionnés par le
régime de Vichy !)
c) « des historiens, souvent
étrangers, avaient démontré comment la majorité de l’administration française,
nombre de ses grands commis en tête, grisés par des promotions faciles et
précoces, s’était mise sans vergogne à devancer les exigences nazies dans la
rédaction et l’application du statut des Juifs » : statut des Juifs
qui est une mesure prise par le régime de Vichy ; statut des
Juifs qui ne comporte pas par ailleurs, de volet
« déportation » ; quant au gens qui « devancent les
exigences nazies », ne pourrait-on pas les qualifier de
« collaborateurs » (la « collaboration » est d’ailleurs une
option choisie clairement par le régime de Vichy dès 1940).
Donc :
1) votre texte lui-même ne démontre pas
que « la France » ait eu une part de responsabilité dans la
déportation des Juifs, seulement que l’État français (le régime de Vichy) en a
eu une ;
2) votre texte lui-même ne démontre pas
que Chirac ait parlé de « la responsabilité de la France dans la
déportation des Juifs », il démontre seulement que Chirac (dans sa
« phrase décisive ») a parlé du rôle de « l’État
français ».
Incontestablement, le régime de Vichy,
autoproclamé « État français », ne peut pas être décrété
arbitrairement « étranger à la France » ; mais si on ne peut pas
dire qu’il n’y avait de « France » qu’à Londres (et dans la
Résistance), on ne peut pas non plus dire qu’il n’y avait de
« France » qu’à Vichy. Et on peut rétrospectivement préférer une de
ces France à l’autre.
Par ailleurs, il y a des Français qui ont
spontanément joué un rôle dans la déportation des Juifs, indépendamment du
régime de Vichy : ceux qui ont dénoncé des Juifs ; ceux qui ont écrit des
articles antisémites dans les journaux de Paris, etc. Ce sont des gens que l’on
peut classer comme « collaborateurs ».
J’arrive en fin de compte à la conclusion
que ceux que l’on peut incriminer dans la déportation des Juifs, c’est 1) le
régime de Vichy 2) des collaborateurs agissant indépendamment du régime de
Vichy. Ces deux éléments font partie de la France, mais ne sont pas la France.
La phrase « la responsabilité de la
France dans la déportation des Juifs » n’a de sens que si on admet que
« la France » signifie ici « le régime de Vichy et les
collaborateurs agissant spontanément contre les Juifs » : alors, autant le
dire de cette façon, plutôt que de se complaire dans un lieu commun non
signifiant en lui-même. »
Ça a
tout de même plus d’allure que les extraits proposés ! C’est évidemment un
peu long pour un courrier des lecteurs, mais peut-être que d’autres extraits
auraient été plus pertinents et auraient mieux correspondu à l’original.
À venir
*Analyse
plus approfondie de la question
Création : 17 octobre 2019
Mise à jour :
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 71. La « responsabilité de la France dans la déportation des Juifs »
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2019/10/la-responsabilite-de-la-france-dans-la.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire