jeudi 12 décembre 2019

QH 73. Jean-Paul Brighelli et le Front populaire

Quelques remarques sur l'erreur historique commise par un homme de lettres à propos des accords de Munich


Classement : histoire ; France ; Front populaire ; accords de Munich




Référence
*Jean-Paul Brighelli, « Cours, camarade, la nostalgie est à tes trousses », Marianne n° 1186, 6 décembre 2019, page 52

L’auteur
Né en 1953, Jean-Paul Brighelli, normalien (Saint-Cloud) et agrégé de Lettres modernes, a enseigné en collège, lycée et classes préparatoires et été chargé de cours à l'université.

Texte
L’article, tout à fait intéressant, est consacré au livre de Jean-Paul Dubois, Les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, notamment à l’aspect « mélancolie/nostalgie ». Il évoque vers la fin l’année 1936 (Trenet : Y’a d’la joie ; Céline : Mort à crédit) et ajoute :
« Le Front populaire, qui allait signer les accords de Munich, préférait certainement les refrains entraînants du Fou chantant à l’univers du Dr Destouches ».

Analyse
Ce qui m’ennuie en premier lieu, c’est l’incise : « qui allait signer les accords de Munich ».
En effet, les accords de Munich, considérés a posteriori (c’est plus facile) comme une erreur stratégique et une marque de lâcheté de la part de la France et du Royaume-Uni, datent du 30 septembre 1938 ; le Front populaire, c'est-à-dire très précisément l’alliance entre le PCF, la SFIO et le parti radical (ainsi que d’autres organisations de gauche) prend fin officiellement le 8 avril 1938, avec la démission du second gouvernement de Léon Blum (entré en fonction le 13 mars) ; mais la première démission de Blum le 29 juin 1937 marquait déjà une crise.
En avril 1938, le nouveau gouvernement dirigé par Edouard Daladier est fondé sur une alliance entre le parti radical et la droite et va mener une politique hostile à l’esprit du Front populaire.
Le signataire français des accords de Munich est Daladier. Il est évidemment soutenu par la droite et par la grande majorité du parti radical, qui forment la majorité ; il est aussi soutenu sur ce point par une partie importante de la SFIO (les pacifistes autour de Paul Faure), mais pas du tout par le parti communiste ni par ceux qui notamment réclamaient le soutien de la France au gouvernement espagnol contre la rébellion franquiste. Léon Blum (qui refusera les pleins pouvoirs à Pétain, ainsi que 80 parlementaires de gauche et 1 de droite), n’est pas intensément favorable aux accords, mais exprime son « lâche soulagement » que la guerre ait été repoussée.

Conclusion
On peut donc dire que la situation était complexe, mais en aucun cas que « le Front populaire a signé les accords de Munich ».

Commentaire
On est dans le même registre que celui des gens qui accusent « la chambre du Front populaire » d’avoir « voté les pleins pouvoirs à Pétain » (voir la page Philippe Nemo, le Front populaire et le régime de Vichy).
Cette manie d’accuser le Front populaire de ce dont il n’est pas responsable est souvent le fait de gens de droite (Millon, Nemo) qui croient ainsi « régler son compte à la gauche ». Dans le cas de Brighelli, je pense que c’est plutôt l’ignorance du détail des retournements politiques de la fin de la IIIème République. 

Complément
Un autre point discutable est l'affirmation « Le Front populaire préférait certainement les refrains entraînants du Fou chantant à l’univers du Dr Destouches ». [Destouches : patronyme légal de Céline, qui était docteur en médecine]
D'abord sur le plan factuel : Brighelli nous dit que c'est « certainement » le cas : c'est une supposition. Cela demanderait une vérification. Il me semble que certains écrivains proches du Front populaire avaient apprécié Voyage au bout de la nuit
D'autre part, il fait sans doute un rapprochement entre Trenet et la mesure emblématique du Front populaire : les congés payés. Le Front populaire comme introducteur en France d'Homo festivus, de l'optimisme obligatoire, etc. Brighelli est un disciple de Muray, très bien, mais le pessimisme philosophique ne justifie pas la dévalorisation des mesures sociales, toutes limitées qu'elles soient de certains points de vue.
Enfin, il faut ajouter que Céline a été non moins « certainement » favorable aux accords de Munich, étant donné qu'il avait publié en décembre 1937 Bagatelles pour un massacre, ouvrage qui n'est pas seulement antisémite, mais aussi pro-hitlérien (voir le livre de Hanns-Erich Kaminski, Céline en chemise brune, page) et catégoriquement hostile à toute guerre contre l'Allemagne.
Sur ce point, Brighelli entretient (peut-être pas volontairement) un confusionnisme extrêmement curieux. 



Création : 12 décembre 2019
Mise à jour : 19 décembre 2019
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 73. Jean-Paul Brighelli et le Front populaire
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2019/12/jean-paul-brighelli-et-le-front.html








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