Quelques
réflexions sur la tentative catalane de créer un nouvel Etat en Europe et sur la tentative kurde de créer un nouvel Etat au Moyen-Orient
Classement : indépendantisme ; Catalogne ; Kurdistan
Dans les dernières semaines, les indépendantistes catalans, au pouvoir dans le cadre de l’autonomie appelée « Généralité de Catalogne », ont cru bon de « proclamer l’indépendance » de leur pays.
C’était
leur droit le plus strict. Le problème est que l’affirmation de ce « droit »
(au nom du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ») ne suffit
pas pour que le monde se prosterne devant les nouvelles autorités en venant s’excuser
de ne pas avoir été plus tôt plus complaisant.
Le
droit à l’autodétermination n’est évidemment pas un droit fondé juridiquement.
Il s’agit d’un droit politique, résultat éventuel de rapports de force existants à un moment donné (rapports de force qui ne sont pas exclusivement militaires,
mais aussi moraux, idéologiques, diplomatiques, économiques, etc.).
En l’occurrence, les indépendantistes catalans ont cru pouvoir profiter d’un rapport de force politique, d’ailleurs un peu fragile : le fait qu’ils détenaient une majorité au parlement de la Généralité (majorité de députés, mais pas une majorité des électeurs) et d’un rapport de force moral (ils sont plus « sympas » que le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy). C’était évidemment insuffisant (il n’en serait pas de même si 90 % des électeurs de la Généralité votaient indépendantiste). Un autre rapport de force (celui de l’Etat espagnol par rapport aux autonomies) s’est immédiatement opposé au processus. Les indépendantistes ont aussi cru pouvoir tirer profit des événements du dimanche 1er octobre, jour de la votation organisée par eux, assavoir la distribution généreuse de horions par la force nationale de police (la Garde civile), attitude évidemment inepte de la part du gouvernement espagnol (Rajoy est, sous pas mal d’angles, un imbécile, mais ce n’est pas le problème) : « Ils ont signé la rupture » affirmait un indépendantiste au micro d’une radio française (qui en appelait au tribunal de l'opinion publique française).
Un
point essentiel, apparemment négligé par les indépendantistes, est l’attitude pro-espagnole
des autres gouvernements européens, ainsi que de la Commission européenne. Sans
doute comptaient-ils sur la conformité profonde de leur choix séparatiste avec
l’idéologie européaniste, qui valorise en principe les minorités, ce qui aurait
dû permettre de faire de la Catalogne un « problème international »
(rappelons qu’il a fallu plusieurs années de combats meurtriers avant que l’Algérie
devienne un « problème international »). Il est probable que l’idéologie
européaniste verrait bien la constitution de fédérations de régions autonomes,
entités pleines de chaleur face aux « monstres froids » que sont les
Etats nations.
Malgré
cela, il est évident que « l’Europe » ne peut pas, en l’état actuel
des choses produire le moindre acte concret en ce sens : tout soutien à la
Catalogne (y compris verbal) serait considéré par le gouvernement espagnol (et sans
doute par d’autres gouvernements) comme une menace grave et un casus belli
politique ; il ne fait aucun doute que des Commissaires « séparatistes »
se retrouveraient très rapidement mutés au commissariat de Limoges ou de
Morlaix !
La
création d’un nouvel Etat nécessite des conditions qui n’étaient pas réunies,
parce qu’elles sont très difficiles à réunir. Par exemple, la fin d’une guerre :
c’est ainsi que l’année 1918 a été de ce point de vue une grande année ;
mais même dans ces circonstances, le rétablissement d’un Etat aussi justifié
que la Pologne ne s’est pas fait sans beaucoup de difficultés et grâce à des
circonstances inattendues (notamment la révolution russe : si la Russie était
restée fidèle à la Triple Entente, il n’est pas certain que la Pologne aurait
pu revoir le jour) ; on pourrait dire qu’il en va un peu de même au
Kurdistan, dont la revendication étatiste parait (moralement) beaucoup plus
justifiée que celle de la Catalogne. Néanmoins, la proclamation, faite seulement
par un des deux partis kurde, n’a pas trouvé d’aboutissement : l’Etat
irakien (c'est-à-dire la mouvance politico-militaire chiite) a été suffisamment
puissant pour neutraliser cette tentative en reprenant le contrôle de la région
de Kirkouk. Il est évident que les Kurdes, sans soutien international pour cet
objectif séparatiste, ne peuvent pas, malgré le désordre régnant, s’engager actuellement
dans une guerre contre le gouvernement irakien.
J’ai
entendu un écrivain dire (à la radio) que, aussi bien en Catalogne qu’au
Kurdistan, il s’agissait de « séparatismes de riches » (puisque les
Kurdes avaient le pétrole de Kirkouk !). C’est absurde : l’indépendantisme
catalan est un séparatisme puéril fondé en partie (en partie seulement) sur la
croyance à la supériorité économique catalane ; ce n’est pas du tout le
cas des Kurdes qui ont montré dans la lutte contre l’EI une capacité réelle à
combattre à la vie à la mort (sans être, contrairement à l’EI, du côté de la
mort). Pour autant, peu de monde est prêt à lever un doigt pour qu’ils aient un
Etat indépendant.
Ajout (22 décembre 2017)
Les élections du 21 décembre (avec 83 % de participation) donnent 48 % aux indépendantistes, mais 70 députés sur 132. Vive la démocratie catalane !
Il est normal que les indépendantistes parlent d'une victoire incontestable, d'une défaite écrasante de l'Etat espagnol (mais qu'est-ce qu'ils pourraient bien dire s'ils avaient obtenu 52 % des voix ?).
Manifestement, ils sont, d'abord, de bons candidats au titre de Grands Sophistes. Ou de Plus Vieux Adolescents Attardés : l'idée que l'indépendance d'un Etat puisse avoir lieu sur la base d'écarts aussi faibles relève d'une idéologie de cour de récréation.
Il est moins normal d'entendre le même genre de chose sur des médias français : France Culture, journal de 12 h 30, par exemple ; ou Le Figaro : « c'est une triple gifle qu'a reçu le gouvernement espagnol » (le thème de la « gifle » ramène d'ailleurs à la cour de récréation. A moins qu'il s'agisse (dans l'esprit figaresque) d'un défi qui ne puisse être lavé que par un duel à mort.
Interview intéressante d'Enric Juliana (« numéro 2 de La Vanguardia ») dans Libération de ce jour (22/12).
Ajout (22 décembre 2017)
Les élections du 21 décembre (avec 83 % de participation) donnent 48 % aux indépendantistes, mais 70 députés sur 132. Vive la démocratie catalane !
Il est normal que les indépendantistes parlent d'une victoire incontestable, d'une défaite écrasante de l'Etat espagnol (mais qu'est-ce qu'ils pourraient bien dire s'ils avaient obtenu 52 % des voix ?).
Manifestement, ils sont, d'abord, de bons candidats au titre de Grands Sophistes. Ou de Plus Vieux Adolescents Attardés : l'idée que l'indépendance d'un Etat puisse avoir lieu sur la base d'écarts aussi faibles relève d'une idéologie de cour de récréation.
Il est moins normal d'entendre le même genre de chose sur des médias français : France Culture, journal de 12 h 30, par exemple ; ou Le Figaro : « c'est une triple gifle qu'a reçu le gouvernement espagnol » (le thème de la « gifle » ramène d'ailleurs à la cour de récréation. A moins qu'il s'agisse (dans l'esprit figaresque) d'un défi qui ne puisse être lavé que par un duel à mort.
Interview intéressante d'Enric Juliana (« numéro 2 de La Vanguardia ») dans Libération de ce jour (22/12).
Création :
31 octobre 2017
Mise à jour : 22 décembre 2017
Révision :
Auteur :
Jacques Richard
Blog :
Territoires
Page : 64. La Catalogne, le Kurdistan et
les rapports de force
Lien :
http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2017/10/la-catalogne-le-kurdistan-et-les.html
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