Analyse des
assertions de Laurent Joffrin relatives à la Gaule et aux Gaulois
Classement : Gaule ;
civilisation gauloise ; pseudo-historien
Ceci est
une suite de la page Laurent
Joffrin et les Gaulois.
Référence
*Laurent
Joffrin, « Sarkozix le Gaulois », dans Libération, 21 septembre 2016
Présentation
Le lundi 19 septembre 2016, Nicolas Sarkozy déclarait au cours d’un meeting tenu à Franconville (Val-d'Oise) :
« Nous ne nous contenterons plus d’une intégration qui ne marche plus, nous exigerons l’assimilation. Dès que vous devenez français, vos ancêtres sont gaulois. »
(voir par exemple dans Le Monde, lien)
Déclaration de style assez « tough » sur le sujet (« exiger », « assimilation ») ; la phrase sur les Gaulois va donner lieu à un débat assez touffu, dont il y a lieu d’examiner plusieurs éléments.
Après
avoir donné le texte de Joffrin, je vais ici analyser les éléments historiques
relatifs aux Gaulois.
Un
des principaux objectifs de Joffrin étant de contredire l’idée que « les
Gaulois sont nos ancêtres », il croit bon, dans la foulée, de minimiser les
liens entre la Gaule et la France.
La
civilisation gauloise
« la
civilisation gauloise, plus raffinée qu’on l’a longtemps cru, [est l’] objet
d’étude d’une école archéologique féconde »
Sur
ce point, rien à dire ; sauf que, ayant rendu cet hommage, il va ensuite
procéder à sa dépréciation.
Les
peuples gaulois
« A
l’époque de Vercingétorix, […] les Gaulois étaient des Celtes, divisés en de
nombreux peuples rivaux, qui occupaient un territoire bien plus grand que la
France actuelle »
Il
semble avoir oublié avoir évoqué précédemment « la civilisation
gauloise » : si on admet qu’il n’y avait que des « peuples
rivaux », qui donc était le support de cette civilisation ?
Les
Gaulois étaient certes politiquement divisés, comme du reste les Grecs des
époques archaïque et classique ; il y avait plusieurs dizaines de
« peuples » (Arvernes, Eduens, Séquanes, Helvètes, etc.), mais il
faut tenir compte des liens de clientèle qui unissaient des peuples plus puissants
et des voisins moins importants. Incontestablement, il y avait des
rivalités : d’ailleurs, de 58 à 52, certains peuples gaulois ont été des
alliés de César (et ont de ce fait bénéficié d’avantages par la suite).
il
est probable que le concept de « Gaule » (Gallia) a été créé par les Romains à une date d’ailleurs ancienne,
dès le IVème siècle (Gaule cisalpine, Gaule transalpine), et concrétisé
administrativement seulement après la conquête de César. Il n’empêche que
l’action de Vercingétorix s’est déployée sur le territoire de la « Gaule
transalpine », dont la plupart des habitants (sauf les
« Aquitains », au sud de la Garonne) parlaient la même langue et
avaient une religion commune.
Notons
que Joffrin ne s’interroge absolument pas sur ce qu’était la « celtitude »,
par exemple sur le rapport entre Gaulois et Bretons, tous celtes ; il ne s’interroge
pas non plus sur l’origine du mot Gallia (déformation de Keltia ? Cette
question n’est jamais évoquée, même par les « historiens sérieux »).
Les
traces actuelles de la civilisation gauloise : le lexique
« de
la civilisation gauloise […], nous n’avons pas conservé grand-chose, sinon
quelques mots, moins nombreux que les mots arabes dans la langue française. »
L’indéfini
« quelques »se réfère à une faible quantité (une dizaine, une
vingtaine tout au plus) ; le nombre de mots français d’origine gauloise
est en réalité de l’ordre de plusieurs dizaines (voir le livre de Pierre
Gastal, Nos racines celtiques Du gaulois
au français, Désiris, 2013 ; pour rassurer Laurent, il ne s’agit pas
des racines idéologiques, mais étymologiques).
La
comparaison avec le nombre de mots arabes est évidemment un lieu commun assez
inepte (par exemple, on va trouver les mots « alcade », « alcarazas »,
ou plus courant « alcazar », dont les référents réels sont plus
espagnols qu’arabes).
Les
traces actuelles de la civilisation gauloise : la toponymie
« de
la civilisation gauloise […], nous n’avons pas conservé grand-chose, sinon [...] une série de toponymes au parfum désuet. »
C’est
ici Joffrin fait la preuve de son ignorance et de son incompétence….]
Il
suffit de consulter un « auteur sérieux », par exemple Charles
Rostaing, Les Noms de lieux, dans la
collection « Que Sais-Je », pour constater que les toponymes gaulois
sont assez nombreux (cond-, -dun-, -briv-, -mag-, etc.) : d’où nous
viennent les nombreux « Condé », « Verdun », mais aussi
Lyon (Lugdunum), Brive (Briva), Rouen (Rotomagus), Caen (Catomagus),
Argenton (Argentomagus), etc. ; de
surcroît, un grand nombre de villes françaises tirent leur noms du peuple
(devenu cité romaine) dont elles furent la capitale :Nantes, Paris,
Rennes, Vannes, Lisieux, Bayeux, Sées, Avranches, Amiens, Reims, Soissons,
Senlis, Poitiers, Saintes, Bourges, Angers, Tours, Langres, Sens, etc. Ces
villes avaient un autre nom en gaulois (Lutet*/Lutetia en ce qui concerne Paris, mais
le nom des Parisii est bel et bien
gaulois, comme celui des Bituriges, des Andégaves, des Lingons). Certains de
ces noms de peuples ont aussi donné des noms de provinces : Berry, Anjou,
Périgord, Poitou, Touraine, Velay, Gévaudan et quelques autres (sans doute
est-ce là que Joffrin repère un « charme désuet » !).
En
revanche, les noms de Bordeaux, Toulouse, Marseille, Nice, etc. ont d’autres
origines que la langue gauloise.
Les
traces actuelles de la civilisation gauloise : la géographie historique
Un
autre point (non évoqué par l’ignorant M. Joffrin) est la continuité assez
forte entre les territoires des peuples gaulois et le découpage départemental
de la France : les peuples gaulois sont dans l’ensemble devenus des cités
gallo-romaines, sièges des évêchés après l’instauration du christianisme ;
très souvent les limites des évêchés ont perduré jusqu’en 1789 et ont en partie
été reprises par les départements en 1790. C’est ainsi qu’on trouve très
souvent en France un toponyme du type
« Ingrandes »/ « Eygurande », issu d’un mot gaulois non
attesté textuellement (*equoranda)
indiquant la limite du territoire d’un peuple et que l’on retrouve souvent actuellement
en limite de département (par exemple, Ingrandes/Loire, aujourd'hui entre la
Loire-Atlantique et le Maine-et-Loire, autrefois entre les Namnètes et les
Andégaves). Voir ma page Le
toponyme « Ingrandes ».
De
la Gaule à la France
Enfin, à l’échelle « nationale », il y a une
certaine continuité territoriale entre cette Gaule transalpine (entre
les Pyrénées, les Alpes et le Rhin), répartie par les Romains entre l’Aquitaine
(très élargie par rapport à l’Aquitaine de César, puisqu’elle vient jusqu’à la
Loire), la Lyonnaise et la Belgique, et la France, apparue, formellement, en
843, au « traité de Verdun », sous la forme de la Francie
occidentale, délimitée à l’est par le Rhône, la Saône et la Meuse.
Cette dernière continuité est plus difficile à
expliquer*, étant donné qu'il y a eu un hiatus après l'époque romaine des
Gaules (« Tres Galliae », « Préfecture des Gaules »)
pendant la période mérovingienne, où les entités politiques sont très variables
du point de vue territorial et onomastique : « Neustrie »,
« Austrasie », « Aquitaine » (le seul toponyme romain à se
maintenir), « Bourgogne » (Burgundia, royaume des
Burgondes), royaume de Paris, d’Orléans, etc., royaume de Gontran, de
Childebert, etc. avant d'arriver aux entités définies par le traité de Verdun,
qui ne se réfèrent pas non plus à la Gaule : « Francia occidentalis
», « Francia orientalis » et « Lotharingia ».
La France, prolongement de la « Francia
occidentalis », s'est par la suite pas mal étendue vers l'est, vers le Rhin et
les Alpes (ses « frontières naturelles ») et, au final, l'écart
entre les territoires « gaulois » et le territoire français
métropolitain s'est beaucoup réduit.
*Note
Cette continuité résulte peut-être, en partie, du maintien de l'usage du mot « Gaule » dans l'Eglise, notamment dans le titre de « primat des Gaules » (qui remonte au moins à l'époque carolingienne) et dans le terme de « gallicanisme » (à dater) ; noter aussi la formule « Lyon, capitale des Gaules » (qui est peut-être récente et dans ce cas pas très significative).Ajout (17 mars 2018)
En revanche, il n'y a pas de continuité « spirituelle » ou « idéologique » à travers un « sentiment patriotique gaulois » (ou quelque chose d'analogue) qui n'existait pas dans la Gaule indépendante, ni dans les Gaules gallo-romaines (voir Christian Goudineau, Regards sur la Gaule, 1998) et n'a donc pas pu se « transmettre ».
Mise à jour : 17 mars 2018
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 22. Joffrin et les Gaulois : Analyse historique (les Gaulois)
Lien : http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2017/12/joffrin-et-les-gaulois-analyse.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire