A propos
d’une assertion fréquemment utilisée par des gens de droite à propos du rôle du
Front populaire dans l’avènement du régime de Vichy
Classement : Front populaire ; régime de Vichy ; Philippe Nemo ; pseudo-historiens
Références
*Jean-Pierre
Azéma, De Munich à la Libération, Points
Seuil, « Nouvelle histoire de la France contemporaine », volume 14, 1979
*Philippe
Nemo, Les Deux Républiques françaises,
Paris, PUF, 2008
Présentation
Une
assertion récurrente consiste à affirmer que « Pétain a reçu les pleins
pouvoirs de la Chambre du Front populaire » et à en tirer la conclusion
que le régime de Vichy est la conséquence, la continuation du Front populaire,
bref, de la « gauche », et que la « droite » est gravement
calomniée à ce sujet.
On
trouve cette assertion, par exemple, sous la plume de Nemo, personnalité
intellectuelle notable.
Il
s’agit évidemment d’un « élément de langage » destiné à déconsidérer
le Front populaire. Le Front populaire et les gouvernements de Front populaire
peuvent faire l’objet de toutes les critiques qu’on veut, à condition qu’elles
soient fondées. Celle-ci ne l’est pas.
Je
commencerai par citer le texte d’un historien.
Texte
1 : Jean-Pierre Azéma, historien
Page 82
[Le
10 juillet], « l’Assemblée nationale [c’est-à-dire : la Chambre des
députés et le Sénat réunis] accordait par 468 voix contre 80(1) et 20
abstentions « tous pouvoirs au gouvernement de la République, sous l’autorité
[…] du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une
nouvelle Constitution de l’Etat français.
Ils
étaient 58 députés et 22 sénateurs à avoir conservé la tripe républicaine.
C’était peu : il manqua à l’appel beaucoup de radicaux, également beaucoup de
socialistes (88 députés votent les pleins pouvoirs contre 29) […]. '''On dit
communément que c’est la Chambre du Front populaire qui vota les pleins
pouvoirs ; il faut nécessairement apporter deux correctifs''' : une
cinquantaine de députés communistes, tout comme les parlementaires du Massilia,
étaient absents et – surtout – l’ « Assemblée nationale » était également
composée d’un Sénat qui à de très fortes majorités avait par deux fois fait
tomber Blum. Le gros des opposants n’appartenait pas à la droite : 12 députés
radicaux-socialistes, 14 sénateurs de la Gauche démocratique, 36 députés ou
sénateurs socialistes. » [donc : 18 votes négatifs seulement viennent de la
droite].
Ajoutons
que les gouvernements de Front populaire, c'est-à-dire fondés sur l’alliance
entre le PCF, la SFIO et le Parti radical, ont été au nombre de trois :
Blum 1, Blum 2, Chautemps. A partir de mars 1938 (gouvernement Daladier), on a
affaire à des gouvernements d’Union nationale, fondés sur l’alliance entre le
Parti radical et les partis de droite. Lorsque Pétain demande les pleins
pouvoirs en juillet 1940, cela fait donc deux ans que la Chambre des députés
n’est plus « de Front populaire ».
Remarquons
à cet égard que les mesures contre les réfugiés de 1939 sont prises par ces
gouvernements d’Union nationale, et non pas, comme l’a écrit BHL, par des
gouvernements de Front populaire.
Texte
2 : Philippe Nemo, sophiste
Dans l’ouvrage mentionné plus
haut, page 226 (chapitre V), il analyse l’après-guerre,
notamment la « collusion » entre communistes et gaullistes, et les conséquences
de cette collusion), il écrit :
« Un autre point d’histoire
fut plus complètement encore enseveli dans l’oubli et le refoulement – à savoir
le fait que le régime de Vichy lui-même, surtout lors de ses années de
collaboration affirmée, était constitué
en grande partie de gens de généalogie « 1793 » – à savoir d’une
part, l’extrême droite des Ligues, et, d’autre part, des représentants éminents
de la gauche et de l’extrême gauche de l’immédiat avant guerre.
N’oublions pas, d’abord, que le
régime de Vichy a été instauré par un vote de la chambre du Front populaire, en
majorité de gauche ; les trois
quarts des députés socialistes et radicaux ont voté pour le tandem
Pétain-Laval. »
Analyse
Je laisserai de côté le premier
paragraphe, illustration de la thèse de Nemo selon laquelle il y a deux traditions
républicaines, « 1789 » (=le Bien) et « 1793 » (=le Mal), que l’on retrouve à tout
moment dans l’histoire des XIXème et XXème siècles. Cela nécessitera d’autres
développements ; on notera seulement le caractère arbitraire de son
système d’équation : « Vichy collaborateur = 1793 = l’extrême
droite ligueuse + des représentants
EMINENTS de la gauche et de l’extrême gauche ». Ce genre d’amalgame permet
de dire à peu près tout et son contraire. Remarquer le style pesant :
« à savoir » répété deux fois en trois lignes.
Je passe au second paragraphe,
qui est purement factuel et dans lequel ses théories tortueuses n’apparaissent
pas.
1) tout d’abord, on ne doit pas
confondre a priori « vote des pleins pouvoirs » et
« instauration du régime de Vichy » (tel qu'il a été) : un certain nombre de
députés et sénateurs pensaient que Pétain ferait un autre usage de ses pleins
pouvoirs ; en particulier, ils ne pensaient certainement pas que Pétain
(le « vainqueur de Verdun ») mènerait une politique de collaboration
avec l’occupant allemand
2) piètre historien que celui qui
emploie la formule méprisante « le tandem Pétain-Laval » (Nemo se
perçoit certainement comme quelqu'un qui n’aurait pas voté les pleins
pouvoirs ; mais ça, Philippe, va donc savoir !)
3) comme l’indique Jean-Pierre Azéma,
le vote des pleins pouvoirs n’a pas seulement concerné « la chambre du
Front populaire » ou plus exactement la chambre des députés élue en 1936, dont
nombre de membres (de gauche) étaient absents, mais aussi le Sénat (opposé au
Front populaire depuis les origines), les deux formant « l’Assemblée
nationale » (expression qui a pris un autre sens dans la Vème République ;
actuellement, on appelle cela le « congrès »)
4) de surcroît, cette chambre des
députés n’était plus « de Front populaire » depuis 1938
5) s’il est vrai que « les
trois-quarts » des socialistes (notamment les fauristes, pacifistes et
munichois) et radicaux ont voté les pleins pouvoirs, Nemo aurait pu nous
indiquer le pourcentage des députés de droite qui ne les ont pas votés ;
mais il s’est sans doute rendu compte que sa « démonstration » aurait
été moins belle.
Cette courte analyse prouve le
sérieux de Nemo (ancien normalien, agrégé, docteur, professeur d’Université)
quand il prétend expliquer la réalité de l’histoire. Je suis notamment persuadé
qu’il a cru que « Assemblée nationale » désignait, comme aujourd'hui,
l’assemblée des députés.
Nemo n’a
probablement pas lu Azéma ; il s’est sans doute contenté de Charles Millon qui avait
écrit la même chose que lui en 1998 (La
Paix civile, Odile Jacob).
Conclusion
Je
connais deux Nemo : Philippe et Alithia (la furie antiwikipédienne) ;
entre ces deux Nemo, j’avoue que je ne sais pas quel est le moindre…
Création : 6 décembre 2017
Mise à jour :
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH19. Philippe Nemo, le Front populaire et le régime de Vichy
Lien
: http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2017/12/philippe-nemo-le-front-populaire-et-le.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire