Quelques remarques sur un article d’Eliane Viennot à propos de la
Révolution française
Classement : Révolution
française ; pseudo-historienne ; post-vérité historique
Référence
*Éliane Viennot, « Comment la révolution française prive les femmes de citoyenneté », Marianne, 22 décembre 2016
(lien)
Présentation
Eliane Viennot, que j’appellerai ci-dessous
« Viennot », est actuellement au premier rang de la lutte pour l’
« écriture inclusive », dont elle est un très chaud partisan et un tonitruant héraut (voir la page Libération et
maîtresse Eliane (Viennot)).
Comme je le signalais, elle fut l’auteur, à la fin de l'année 2016, de cet article qui vaut son pesant de cacahuètes sur la Révolution française et les femmes. Sa campagne pour l’écriture inclusive est dans le
droit fil de ses théories historiques : c’est le grand n’importe quoi.
J'en propose ci-dessous le texte, en grande partie disponible en ligne, et l'analyse.
Texte
« Nous pensons tous que la liberté et l'égalité, en
France, ont débuté en 1789. C'est l'enseignement de l'école, des hommes
politiques et de certains historiens. La réalité est tout autre.
De même que le fameux suffrage universel de 1848 était
réservé aux « Français en âge viril » (proclamation du 16 mars), l'égalité mise
en musique à partir de l'été 1789 ne concernait que les hommes. Si la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen publiée en août avait pu
laisser planer des doutes, la loi électorale du 22 décembre les levait
clairement : seuls les « citoyens actifs » (les hommes relativement riches et
hors de « l'état de domesticité ») pouvaient voter et être élus. Ces distinctions
allaient toutefois fondre d'un scrutin à l'autre, jusqu'à être abolies en juin
1793 : la deuxième Constitution faisait de tous les hommes des citoyens, tandis
que toutes les femmes demeuraient à la porte de la modernité.
Que cette constitution-là n'ait pas été appliquée ne change
rien à l'affaire. C'est bien un principe qui est inscrit dans le marbre dès les
premiers mois de la Révolution par ceux qui se sont autoproclamés «
constituants » et qui s'autorisent à légiférer pour leurs compatriotes. Un principe
élaboré au cours du XVIIIe siècle par les philosophes et les savants des
Lumières, selon lequel les deux sexes sont destinés par la nature à
des [suite du paragraphe] rôles
bien distincts : aux hommes les affaires publiques, aux femmes les
affaires domestiques (et « l’empire de l’amour », ajoutent-ils,
pouvoir étourdissant dont elles doivent se contenter). La nature ne parlant pas
assez fort, c’est avec des lois, des constitutions et bientôt la guillotine que
ces quelques centaines d’hommes, toujours élus par moins de 10 % de la nation,
vont mettre de l’ordre dans une société toute entière saisie par le vertige de
l’égalité, après la prise de la Bastille, l’ « abolition des privilèges »
et la Déclaration des droits qui marquent le premier été de la Révolution. »
[fin du paragraphe]
Commentaire
Viennot a entièrement raison en ce qui concerne l’attitude des
révolutionnaires vis-à-vis des femmes. C’est du reste un lieu commun depuis
quelques décennies, notamment à travers la mise en valeur de la personnalité
d’Olympe de Gouges. L’article de Viennot n’a rien de « révolutionnaire »
sur le plan historiographique.
Ce qui est beaucoup plus intéressant, c’est la façon dont
elle présente le contexte : la Révolution, les Lumières, etc.
Analyse par phrases symptomatiques
1) « Nous pensons tous que la liberté et l'égalité, en
France, ont débuté en 1789. C'est l'enseignement de l'école, des hommes
politiques et de certains historiens. La réalité est tout autre. »
On discerne le thème conspirationniste de la « science
officielle » contre laquelle va se dresser une valeureuse historienne
isolée, bien que puisque « certains historiens » sont ralliés à la
« science officielle », certains autres historiens partagent
certainement le même point de vue qu’elle. Des noms, des noms !
2) « De même que le fameux suffrage universel de 1848
était réservé aux « Français en âge viril » (proclamation du 16 mars),
l'égalité mise en musique à partir de l'été 1789 ne concernait que les
hommes. »
Les révolutionnaires de 1789 auraient-ils copié sur ceux de
1848 ? Que fait la police ?
Pourquoi « mise en musique » ? Que fait le
chef d'orchestre ?
3) « ceux qui se sont autoproclamés « constituants »
et qui s'autorisent à légiférer pour leurs compatriotes »
C’est à peine croyable !
Un rappel des faits est nécessaire. En 1788, Louis XVI
décide pour diverses raisons de réunir les Etats généraux du royaume, dont les
députés (du Clergé, de la Noblesse, du Tiers Etat) sont élus au printemps 1789.
Ils se réunissent le 5 mai à Versailles. Le principe est qu’ils doivent
siéger séparément par ordre (un ordre = une voix), ce que les députés
du Tiers (50 % des députés) n’acceptent pas (ils veulent une réunion générale,
avec un député = une voix).
Suite à diverses péripéties, la situation étant bloquée,
les députés du Tiers Etat décident de se proclamer « Assemblée nationale »
(17 juin) puis prononcent le serment du Jeu de Paume (20 juin 1789) ;
n'osant pas employer la force, Louis XVI cède et, le 27 juin, enjoint aux
députés du clergé et de la noblesse qui ont encore refusé de le faire d’aller
siéger dans cette nouvelle Assemblée qui se proclame « Assemblée
nationale constituante » (9 juillet).
Il s’agit bien d’une « autoproclamation » ;
mais Viennot donne à ce mot un sens manifestement péjoratif, alors que, de
façon générale, on considère qu’il s’agit du premier acte révolutionnaire de la
période. Cette « autoproclamation » se fait contre le pouvoir du roi
(en théorie « absolu ») et contre le conservatisme de la majorité des
députés du clergé et de la noblesse. Ce que Viennot dit, au contraire, c’est
que les députés du Tiers (représentant, avec 50 % des députés, 98 % de la
population) ont opéré un coup d’Etat contre le peuple (« s'autorisent à
légiférer pour leurs compatriotes »). Le roi et les ordres privilégiés
disparaissent du tableau.
Il s’agit d’un délire anachronisant, faisant fi de ce
qu'était la situation politique concrète à ce moment (imagine-t-elle que les
députés du Tiers auraient dû exiger la tenue d’un référendum ?).
4) « Un principe élaboré au cours du XVIIIe siècle par les philosophes et les savants des Lumières, selon lequel les deux sexes sont destinés par la nature à des rôles bien distincts »
Viennot nous apprend donc que la répartition des rôles selon le sexe n'a rien à voir avec l'enseignement de l'Eglise (Adam et Eve, elle connait pas), ni avec le droit romain (mater certa, pater semper incertus), ni avec la loi salique (la couronne de France ne saurait échoir à une femme, fût-elle fille de roi) : non, les fautifs, ce sont les « philosophes », les « savants des Lumières » ! Quels fils de putes, pardon, quels salauds, ces Rousseau, Montesquieu et autres Diderot !
5) « ces quelques centaines d’hommes, toujours élus par moins de 10 % de la nation »
4) « Un principe élaboré au cours du XVIIIe siècle par les philosophes et les savants des Lumières, selon lequel les deux sexes sont destinés par la nature à des rôles bien distincts »
Viennot nous apprend donc que la répartition des rôles selon le sexe n'a rien à voir avec l'enseignement de l'Eglise (Adam et Eve, elle connait pas), ni avec le droit romain (mater certa, pater semper incertus), ni avec la loi salique (la couronne de France ne saurait échoir à une femme, fût-elle fille de roi) : non, les fautifs, ce sont les « philosophes », les « savants des Lumières » ! Quels fils de putes, pardon, quels salauds, ces Rousseau, Montesquieu et autres Diderot !
5) « ces quelques centaines d’hommes, toujours élus par moins de 10 % de la nation »
C'était quasiment une espèce de dictature !
Conclusion
J’ai du mal à comprendre comment, dans ces conditions, le titre d’« historien » peut encore être attribué à son auteur. Il s’agit sans doute d’histoire inclusive, dans laquelle il est permis, au son des trumpettes (de l'Apocalypse... voir les aventures de Donald à Jérusalem), de recourir à de la factualité alternative et de construire de la post-vérité.
Création :
7 décembre 2017
Mise à
jour : 9 janvier 2017 (restructuration)
Révision :
Auteur :
Jacques Richard
Blog :
Questions d’histoire
Page :
QH20. Eliane Viennot, la Révolution française et Donald Trump
Lien :
http://jrichardterritoires.blogspot.fr/2017/12/eliane-viennot-la-revolution-francaise.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire