Quelques remarques à propos d’un paragraphe de Jean-Claude Kaufmann sur les Gaulois et sur d’autres sujets historiques
Classement : histoire de France ; histoire des Gaulois
Référence
*Jean-Claude
Kaufmann, La Fin de la démocratie Apogée
et déclin d’une civilisation, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2019, page 130
L’auteur
Jean-Claude
Kaufmann, né en 1948, est un sociologue qui a travaillé au CNRS à partir de
1977 ; spécialiste de la « vie quotidienne ».
Texte
« L’idée
proclamée par certains, et murmurée du bout des lèvres par un plus grand
nombre, qu’il existerait des Français plus français que les autres s’est
imposée ces derniers temps de façon spectaculaire comme une sorte d’évidence, y
compris quand on se refuse, par humanisme, à en tirer les conséquences
(« Oui, il y a des Français qui sont seulement d’adoption, mais il faut
savoir les accueillir »). Or, comme toute essentialisation imaginaire,
c’est une idée fausse : l’histoire de France a été de bout en bout une
histoire de migrations et d’interpénétrations continuelles (2), et elle résulte
d’influences multiples (3). Les fameux Gaulois, symboles d’une essentialisation
magique, étaient eux-mêmes des Celtes venus d’ailleurs et d’origines multiples.
On pourrait faire la même démonstration dans tous les pays. Ainsi, le plus
vieux Britannique connu, l’homme de Cheddar, qui a vécu il y a environ dix
mille ans dans le sud-ouest de l’Angleterre, avait des yeux bleus et… la peau
noire (4).
2.
Gérard Noiriel, 1988
3.
Patrick Boucheron, 2017
4.
(lien https) »
Analyse
et commentaires
Je
traiterai les points suivants :
*Kaufmann
et l’histoire de France
*Kaufmann
et les Gaulois
*Kaufmann
et l’histoire des îles Britanniques
*la
question des migrations
a)
Kaufmann et l’histoire de France
L’énoncé
« l’histoire de France a été de bout en bout une histoire de migrations et
d’interpénétrations continuelles », même s’il s’appuie sur un livre de
Gérard Noiriel, ne signifie pas dire grand-chose. C’est un lieu commun assez
banal, comme la formule « elle résulte d’influences multiples »
(même avec la caution de Patrick Boucheron).
Tout
d’abord, on pourrait dire la même chose de tous les pays du monde !
En
second lieu, ces formules veulent ignorer (dévaloriser, déconsidérer) les
phases plus ou moins longues de stabilité, phases au cours desquelles
s’élabore, sur place, une synthèse des « influences multiples »,
synthèses (ou suite de synthèses) qui vont aboutir à un résultat différent dans
chaque pays.
Par exemple, à partir de la conquête romaine de la Gaule, la langue latine, seule langue officielle, va progressivement devenir la langue de la quasi-totalité des habitants (pas seulement les administrateurs et les intellectuels), mais subir dans l’usage populaire des transformations considérables, donnant naissance à divers dialectes, d’oïl et d’oc ; à partir de certains dialectes d’oïl, s'est élaborée une nouvelle langue, le français (utilisée par les écrivains à partir du Moyen Âge, par les intellectuels et les administrateurs à partir du XVIème siècle). Au cours de cette élaboration, il y a certes eu des « influences » linguistiques (germaniques, scandinaves, puis « étrangères »), mais aucune plus importante que marginale (bien que, du Vème au IXème siècle, l’ancienne Gaule romaine ait été dirigée par des Germains : les Mérovingiens, puis les Carolingiens, ils n’ont pas été en mesure de germaniser le pays, quelques régions mises à part).
Sur ce point précis, peut-on dire que tout soit compréhensible seulement grâce aux catégories « interpénétrations » et « influences » ?
Par exemple, à partir de la conquête romaine de la Gaule, la langue latine, seule langue officielle, va progressivement devenir la langue de la quasi-totalité des habitants (pas seulement les administrateurs et les intellectuels), mais subir dans l’usage populaire des transformations considérables, donnant naissance à divers dialectes, d’oïl et d’oc ; à partir de certains dialectes d’oïl, s'est élaborée une nouvelle langue, le français (utilisée par les écrivains à partir du Moyen Âge, par les intellectuels et les administrateurs à partir du XVIème siècle). Au cours de cette élaboration, il y a certes eu des « influences » linguistiques (germaniques, scandinaves, puis « étrangères »), mais aucune plus importante que marginale (bien que, du Vème au IXème siècle, l’ancienne Gaule romaine ait été dirigée par des Germains : les Mérovingiens, puis les Carolingiens, ils n’ont pas été en mesure de germaniser le pays, quelques régions mises à part).
Sur ce point précis, peut-on dire que tout soit compréhensible seulement grâce aux catégories « interpénétrations » et « influences » ?
b)
Kaufmann et les Gaulois
« Les
fameux Gaulois, symboles d’une essentialisation magique, étaient eux-mêmes des
Celtes venus d’ailleurs et d’origines multiples. »
Kaufmann
croit nécessaire d’apporter sa pierre à la « déconstruction du mythe des
origines gauloises de la France » (« les fameux Gaulois »,
« essentialisation magique* »), mais son apport est assez pauvre.
*« Les Gaulois étaient des Celtes venus d’ailleurs et d’origines multiples » : personne n’a jamais cru que les Gaulois aient été un peuple autochtone, leur appartenance au groupe des Celtes est connue depuis très longtemps (même César était au courant). Plus original : Kaufmann nous indique que ces Celtes n’étaient pas un peuple « pur », mais « mélangé ». En fait, on ne sait pas grand-chose sur les origines des Celtes (ils apparaissent dans les sources vers 600 avant J.-C., mais de façon ténue). L’affirmation de leur « impureté ethnique » est une pure supposition (probablement exacte, mais tout à fait banale), qui relève plus de l’idéologie politiquement correcte du XXIème siècle que de la connaissance historique.
*« Les Gaulois étaient des Celtes venus d’ailleurs et d’origines multiples » : personne n’a jamais cru que les Gaulois aient été un peuple autochtone, leur appartenance au groupe des Celtes est connue depuis très longtemps (même César était au courant). Plus original : Kaufmann nous indique que ces Celtes n’étaient pas un peuple « pur », mais « mélangé ». En fait, on ne sait pas grand-chose sur les origines des Celtes (ils apparaissent dans les sources vers 600 avant J.-C., mais de façon ténue). L’affirmation de leur « impureté ethnique » est une pure supposition (probablement exacte, mais tout à fait banale), qui relève plus de l’idéologie politiquement correcte du XXIème siècle que de la connaissance historique.
*« essentialisation
magique » : je ne vois pas trop ce qu’il entend par là. Cela se
réfère probablement à la formule « Nos ancêtres les Gaulois », mais
celle-ci n’est sûrement pas « magique », et probablement pas
« essentialisante ».
c)
Kaufmann et l’histoire des îles Britanniques
« le
plus vieux Britannique connu, l’homme de Cheddar, qui a vécu il y a environ dix
mille ans dans le sud-ouest de l’Angleterre, avait des yeux bleus et… la peau
noire. »
Le
fait qu’il y ait eu une population à peau noire dans l’actuelle Angleterre
(comté de Somerset) en 8 000 avant J.-C. est certainement intéressant pour
l’histoire des hommes préhistoriques. Est-ce que ça l’est pour l’histoire des
îles Britanniques ?
Selon un article du Monde (7 février 2018, lien), « "Cheddar Man" faisait partie d’une population de chasseurs-cueilleurs qui a migré du Moyen-Orient au nord de l’Europe après la fin de la dernière ère glaciaire. Aujourd’hui, environ 10 % de la population britannique blanche présente une ascendance liée à ces chasseurs-cueilleurs. » (on aurait donc affaire à un « ancêtre » biologique d'une fraction non négligeable de la population !).
Selon un article du Monde (7 février 2018, lien), « "Cheddar Man" faisait partie d’une population de chasseurs-cueilleurs qui a migré du Moyen-Orient au nord de l’Europe après la fin de la dernière ère glaciaire. Aujourd’hui, environ 10 % de la population britannique blanche présente une ascendance liée à ces chasseurs-cueilleurs. » (on aurait donc affaire à un « ancêtre » biologique d'une fraction non négligeable de la population !).
A
venir
Création : 5 mai 2019
Mise à jour :
Révision : 7 octobre 2019
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 52. Les Gaulois selon Jean-Claude Kaufmann
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2019/05/les-gaulois-selon-jean-claude-kaufmann.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire