lundi 20 janvier 2020

QH 74. La rumeur des « camions qui tournent en rond dans la cour de la caserne »

Quelques remarques sur une allégation antimiltariste


Classement :




Référence
* Laurent Valdiguié, « Ma police va craquer », Marianne n 1180, 25 octobre 2019, page 25

L’auteur
Il est actuellement journaliste d’investigation à Marianne, après avoir travaillé au Parisien, à Paris Match et au JDD.

Texte



Présentation
Je laisse de côté l’essentiel du texte, qui concerne les véhicules de la police ; il s’agissait de contextualiser la phrase concernant l’armée : « la consigne est de « les faire tourner » … de peur de perdre des dotations. Comme quand l’armée, autrefois, faisait rouler ses camions ».
Cette dernière phrase est très laconique, mais cela même est intéressant, car cela signifie que pour le rédacteur, il s’agit d’un « fait bien connu », qu’il n’y a pas besoin de développer. Cependant, il faut remarquer que la comparaison n’est qu’approximative : dans la police, il s’agirait de justifier la possession de véhicules en surnombre, alors que dans l’armée, le « fait bien connu » est qu’on « fait tourner » les camions afin de consommer du carburant dans le but de ne pas risquer une réduction de la dotation de l’année suivante.
Personnellement, j’ai entendu quelqu'un affirmer en avoir été témoin (des camions tournant dans la cour de la caserne pour ce motif), ce qui recoupe la formulation de l’article de Marianne.

Commentaire
À mon avis, il s’agit d’une « rumeur militaire » à connotation antimilitariste (comme celle des « 7 % de pertes autorisées »). Je pense que le « témoin oculaire », s’il a vu quelque chose, ne l’a pas comprise, ou qu’il a repris une blague en la transformant en réalité « objective ».
En effet, l’opération décrite me paraît tout à fait invraisemblable (contrairement à l’énoncé concernant la police, qui parait logique si réellement des services sont équipés de véhicules en surnombre ; vraisemblable, ce qui ne signifie pas vrai).

Analyse
Il se trouve qu’en tant qu’appelé (voir la page Le 420ème escadron de transport et de circulation (1976-1977)), j’ai me suis trouvé secrétaire dans une unité du train, dotée d’un bon nombre de camions.
Le ravitaillement des camions en carburant reposait sur la procédure suivante : quand il y avait une opération de transport (transporter tant de personnes de tel endroit à tel endroit et retour, etc.), l’unité recevait un ordre de mission prévoyant le nombre de camions à utiliser, les trajets, et allouant la quantité de carburant requise. Hors de ces missions, les trajets (à l’intérieur du camp) ne représentaient pratiquement rien (aller au garage, etc.). En tout cas, je n’ai jamais entendu parler d’une « dotation annuelle » attribuée en début d’année.

Il existe aussi des éléments logiques qui rendent cette assertion invraisemblable.

En fait, le « récit d’ensemble » n’est pas logique : il supposerait en effet que, une certaine année (non déterminée), l’unité aurait reçu une dotation en essence supérieure aux besoins, qu’il s’agirait donc de préserver d’année en année bien qu’elle soit toujours trop forte. Mais pour quelle raison y aurait-il eu une « année bénie » ? Pourquoi cette « année bénie » devrait-elle toujours se situer dans le passé (un passé plus ou moins mythique) ? Pourquoi, après cette année de grande largesse, les services compétents se seraient-ils mis à tenir compte de façon pointilleuse de la consommation effective ? Comment ces services (si pointilleux) n’auraient-ils pas vent de telles opérations (une dénonciation, même anonyme, n’étant pas, elle, invraisemblable, sans parler de propos de mess) ?
Un autre aspect peu logique, c’est qu’on suppose que les gens chargés (de façon récurrente, pas ponctuelle) de cette « mission » (conduire les camions sans raison, dans l’espace restreint où ils vivent ; l’opération ne peut en effet pas avoir lieu hors d’une enceinte militaire, le moindre incident ou accident révélerait une opération non justifiée) le feraient de bonne volonté. S’agit-il d’appelés contraints par la menace ? D’engagés soumis à une obéissance jésuitique ? Penser que ce genre de pratique pourrait avoir lieu sans remous internes relève d’une certaine méconnaissance des rapports d’autorité, même au sein de l'armée.



Création : 20 janvier 2020
Mise à jour :
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 74. La rumeur des « camions qui tournent en rond dans la cour de la caserne »
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2020/01/la-rumeur-des-camions-qui-tournent-en.html








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