vendredi 11 décembre 2020

QH 93. La mise en place du « collège unique » (1963-1975)

L'enseignement secondaire en France de la fin des années 1960 à la réforme Haby en 1975


Classement : enseignement secondaire ; premier cycle ; France ; collège unique




Un des points souvent critiqués dans le système d’enseignement français est « le collège unique ». Mais que critique-t-on au juste à travers cette notion qui est devenu un gimmick du prêt-à-porter médiatique, y compris de la part de quelqu'un qui fut un intellectuel, François Bayrou, avec son slogan « Collège unique, collège inique » (ce qu’on se marre !).

J’ai l’impression que beaucoup de gens, notamment journalistes même spécialisés, ne savent pas en quoi a consisté l'établissement du « collège unique », incluse dans ce qui est couramment appelé « réforme Haby », du nom du ministre de l’Éducation nationale sous la présidence Giscard d’Estaing à l'origine de la loi du 11 juillet 1975. Pour expliquer correctement les choses, il faut remonter une quinzaine d’années en arrière.

L'enseignement secondaire au début des années 1960 : lycées et CEG
Si on revient à cette époque un peu éloignée, mais pas tant que cela (pour ma part, je suis entré en 6ème en 1961), le système d'enseignement secondaire prolongeait celui qui avait été établi au cours du XIXème siècle avec :
1) les lycées, créés par Napoléon (mais issus des « collèges humanistes » de la Renaissance, révisés par les Jésuites et les Oratoriens sous l’Ancien Régime) qui scolarisant les élèves de la 6ème à la Terminale, mais comportaient aussi des classes de niveau primaire (« petits lycées ») logiquement appelées : 7ème, 8ème, jusqu’à la 11ème . Bien entendu, entraient aussi en 6ème au lycée des élèves issus de classes primaires « normales », celles des « écoles communales » (soumis jusque vers 1960 à l'examen d'entrée en 6ème). Dans les lycées, on pouvait apprendre le latin et le grec ancien et le choix de langues vivantes était plus ou moins varié (anglais/allemand en langue 1 ; anglais/allemand/espagnol, voire italien/russe) ; les professeurs étaient soit des agrégés, soit des certifiés (grade créé vers 1950)
2) l’ancien enseignement primaire supérieur : les Ecoles primaires supérieures d'avant la Seconde Guerre mondiale, dont le nombre avait été accru, étaient maintenant appelées « Cours complémentaires » ou, plus souvent, « Collèges d’enseignement général ». Les CEG s’arrêtaient à la 3ème ; ils ne proposaient pas le latin ni le grec ; le choix de langues vivantes était limité ; les professeurs étaient des PEGC (Professeurs d’enseignement général des collèges) bivalents, c'est-à-dire susceptibles d'enseigner deux disciplines séparées dans les lycées (français+histoire-géographie, français+anglais, etc.). Une bonne part des PEGC avaient commencé comme instituteurs juste après la guerre, mais les plus jeunes étaient désormais recrutés au niveau du DEUG (fin de la seconde année à l'université).
Noter que comme la scolarité obligatoire s’arrêtait à 14 ans, pas mal d’élèves n’allaient pas du tout dans l’enseignement secondaire, les écoles primaires ayant au delà du CM2 des classes de « fin d’études » qui pouvaient les emmener jusqu’à l’âge limite.

La réforme de 1963 : scolarité à 16 ans et CES
L’allongement de la scolarité à 16 ans signifie que tout le monde devra passer par l’enseignement secondaire, au moins le premier cycle (6ème-3ème).
Les élèves de premier cycle iront désormais dans un seul type d'établissement : les Collèges d’enseignement secondaire (CES), mais ils seront  répartis entre deux filières la filière 2 (classes de « type CEG ») et la filière 1 (classes de « type lycée »), chaque filière ayant ses professeurs attitrés (PEGC/agrégés et certifiés). C'est la première étape du collège unique : le regroupement spatial de tous les élèves de 11 à 15 ans.
Les premiers CES fonctionnent dès 1963 (personnellement, élève en 6ème-5ème du lycée Clemenceau de Nantes, j’ai été envoyé à la rentrée 1963 à l’annexe de la Colinière, qui débutait avec le statut de CES).
Des centaines de CES ouvrent de 1963 à 1975 (au moins un par canton) et au fur et à mesure, les classes de premier cycle des lycées ferment, ainsi que les CEG.
Vers 1975, la quasi-totalité des élèves de premier cycle sont regroupés dans les CES ; la répartition entre « type 1 » et « type 2 » ne se fait pas dès la 6ème, mais en 4ème , de sorte que des PEGC peuvent enseigner en 6ème et 5ème dans les mêmes classes que des certifiés voire des agrégés (normalement en lycée, mais il y en a tout de même en collège).

La réforme Haby : le « collège unique »
Cette réforme est le prolongement logique de la réforme de 1963 : les deux filières sont amalgamées pour toutes les classes de CES (et un souci constant par la suite sera d'éviter de constituer des « classes de niveau », grâce aux options allemand et latin notamment).
Désormais, les deux corps professoraux, toujours séparés statutairement, peuvent enseigner dans toutes les classes de premier cycle. Quelques années plus tard intervient la décision de mettre fin au recrutement des PEGC ; le corps des PEGC va donc s’éteindre progressivement, au fur et à mesure des départs à la retraite.

Logique de la réforme Haby
En soi, cette réforme correspond à la tendance générale à reculer l’âge de la « sélection » : dans les CES, une sélection intervenait à la fin de la 5ème entre filière 1 (classique ou moderne) et filière 2 (moderne seulement ; les élèves de filière 2 étaient en principe destinés à l'enseignement professionnel ou technique, mais quelques uns pouvaient accéder au lycée général).
Que dirait-on actuellement si ces deux filières existaient encore ? Il est évident qu’il y aurait des « luttes » (acharnées) pour en obtenir la suppression ! La critique du collège unique est, dans son principe, injustifiable moralement, et peu justifiée factuellement.
En fait, ces critiques pavloviennes ne prennent pas en compte ce qu’était « le collège pas unique », dernier avatar du système objectivement inégalitaire qui venait du XIXème siècle.

Malgré tout, il y a sans doute lieu de lui faire des critiques
D’abord, pour des raisons factuelles : en premier lieu, la réforme Haby a été accompagnée, de façon illogique, puisque le principe était d’assimiler la filière 2 à la filière 1, par une réduction des moyens (c'est-à-dire du nombre d’heures d’enseignement) dans certaines matières (notamment le français).
Une autre raison factuelle a été dans les années 1980-2010  l'application d'un principe selon lequel, si on entrait au collège (hors des classes spéciales, les transitions, pratiques, SEGPA, etc.), il n'était pas question d'en partir avant la 3ème : d'où la suppression des classes de 4ème et 3ème technique (là encore, on applique l'idée louable moralement qu'il faut repousser la sélection à plus tard).
Ensuite, pour une raison de principe : la domination d'un antiélitisme en partie justifié, mais dont l'application systématique, voire dogmatique, a pu générer un certain nombre de problèmes (les mesures antiélitistes étant sources d'économies, elles bénéficient de l'appui inconditionnel des instances administratives). 
Enfin, pour une raison de politique éducative, mais l'erreur était difficilement évitable.
L’unification du collège par l'alignement disciplinaire de la filière 2 sur la filière 1 a été réalisée au détriment des PEGC, alors que ceux-ci, en tant que professeurs bivalents, étaient peut-être mieux adaptés à l’enseignement du niveau collège.
Peut-être aurait-il fallu réformer le corps des PEGC : tout en maintenant la bivalence, imposer un recrutement de niveau plus élevé que le DEUG dans les matières choisies et aligner le statut du corps (traitement et temps de service) au minimum sur celui des certifiés, voire plus : peut-être aurait-il fallu créer un corps de professeurs agrégés de collège, bivalents, mais avec un traitement aligné sur celui des agrégés. On aurait de vrais « professeurs de collège », qui ne pourraient pas être considérés comme des has been par certains jeunes professeurs certifiés (dans les années 1970-1980, un certain nombre de ceux-ci méprisaient les PEGC comme « profs au rabais », alors que les certifiés étaient eux-mêmes, au départ, des « profs au rabais » par rapport aux agrégés, mais cet aspect de l’histoire avait disparu de la conscience collective du corps).

Conclusion
Il est probable que le ce n'est pas « le collège unique » qui est la cause de tous les problèmes actuels de l’enseignement en France.

Note : les certifiés comme profs au rabais
Les certifiés étaient recrutés avec une licence, les agrégés avec une maîtrise (avant la masterisation du recrutement) ; les traitements et les temps de service sont différents (18 h de cours contre 15). Les certifiés et agrégés ont accès à toutes les classes secondaires ; en revanche, les classes préparatoires sont réservées aux agrégés.




Création : 11 décembre 2020
Mise à jour :
Révision : 2020
Auteur : Jacques Richard
Blog : Question d’histoire
Page : QH 93. La mise en place du collège unique (1963-1975)
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2020/12/la-mise-en-place-du-college-unique-1963.html







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