Quelques remarques sur la campagne menée par Louis-Georges Tin contre Colbert en 2017, partiellement reprise par Jean-Marc Ayrault en 2020
Classement : France ; règne de Louis XIV ; Jean-Baptiste Colbert ; esclavage ; traite des esclaves
Suite à
l’intervention de Jean-Marc Ayrault, dont j’ai pris connaissance le 14 juin
2020, sur la question « Colbert esclavagiste et raciste », je publie
avec retard les travaux que j’avais menés sur une pétition rendue publique en
septembre 2017.
Référence
Présentation
Louis-Georges
Tin, président du Comité représentatif des associations noires (CRAN), a lancé il
y a quelque temps une campagne contre Colbert dénonçant son rôle dans la traite
négrière et l’esclavage dans les colonies françaises et demandant que les
collèges et lycées « Colbert » soient débaptisés.
Cette
campagne a été rendue publique par la tribune mentionnée ci-dessus.
Je
commencerai par citer le texte de cette tribune, en supprimant les ajouts
éditoriaux et en mettant en gras les passages d’un intérêt particulier qui seront
examinés dans une ou des pages à suivre.
Le
texte de la tribune anti-Colbert
« Tous
les médias ont parlé de Charlottesville*, de la statue du général Lee*, de la « white
supremacy », etc. Mais rares sont ceux qui ont évoqué ce problème dans le contexte français. Or la question des emblèmes esclavagistes dans l’espace public se pose
également dans notre pays. Elle est formulée depuis au moins trente ans par
des citoyens (qu’ils viennent de l’Outre-mer ou non), qui demandent que ces
symboles soient retirés.
Cette
exigence suscite chez certains de
nos compatriotes une certaine
angoisse : jusqu’où, disent-ils, faudra-t-il aller ? La réponse est claire : on
ne pourra sans doute pas modifier tous les
symboles liés à l’esclavage dans l’espace public, tant ils sont nombreux et intimement liés à notre
histoire nationale. Mais on ne peut pas non plus ne rien faire, en restant
dans le déni et dans le mépris, comme si le problème n’existait pas. Entre ceux qui disent qu’il faut tout
changer et ceux qui disent qu’il ne faut rien changer, il y a probablement une
place pour l’action raisonnable.
On
pourrait par exemple se concentrer sur les collèges et les lycées Colbert*, qui
existent dans plusieurs villes de France. Il s’en trouve à Paris, à Lyon, à
Marseille, à Reims, à Thionville, à Tourcoing, à Lorient, à Rouen et dans quelques
autres villes. Pourquoi Colbert ? Parce que le ministre de Louis XIV est
celui qui jeta les fondements du Code noir*, monstre juridique, qui légalisa ce
crime contre l’humanité. Par ailleurs, Colbert est aussi celui qui fonda la
compagnie des Indes Occidentales*, compagnie négrière de sinistre mémoire.
En d’autres termes, en matière
d’esclavage, Colbert symbolise à la fois la théorie et la pratique, et
cela, au plus haut niveau.
Ceux qui sont
attachés à Colbert à tout prix,
et veulent retenir de lui non pas l’esclavagiste, mais le ministre qui sut
établir la grandeur de l’économie française à l’époque, agissent comme ces gens quelque peu douteux, qui affirment qu’ils
célèbrent en Pétain non pas le représentant de Vichy, mais le vainqueur de
Verdun. C’est un argument quelque
peu délicat. Par ailleurs, comment
Colbert a-t-il développé l’économie française au 17e siècle, si ce n’est sur la
base de l’esclavage colonial, justement ?
Mais
pourquoi évoquer particulièrement les collèges et les lycées ? Parce que la
question posée aujourd’hui est justement celle de l’histoire, de la mémoire et
de la transmission. Si l’école républicaine elle-même renonce à ces valeurs,
elle n’a plus lieu d’être. Comment
peut-on sur un même fronton inscrire le nom de « Colbert », et juste
en dessous, « liberté, égalité, fraternité » ? Comment peut-on
enseigner le vivre ensemble et les
valeurs républicaines à l’ombre de Colbert ?
Certains
commentateurs affirment qu’il ne faut pas changer ces noms, car il convient de
conserver la trace des crimes commis. Mais les
noms de bâtiments ne servent pas à garder la mémoire des criminels, ils
servent en général à garder la mémoire des héros. C’est pour cela qu’il n’y a
pas en France de rue Pierre Laval, alors qu’il y a de nombreuses rues Jean
Moulin. Et si on veut vraiment
sauvegarder la mémoire de l’esclavage, il vaudrait mieux donner à ces
établissements le nom de ces héros, noirs ou blancs, bien souvent méconnus, qui
luttèrent contre l’esclavage. On pense ici à des figures comme Delgrès*, le
héros guadeloupéen, ou aux habitants du village de Champagney* qui, pendant la
Révolution, plaidèrent pour l’abolition. Pour ce qui est de Colbert, il faut bien sûr que son action soit
enseignée (à l’intérieur de ces établissements, dans les cours d’histoire),
mais non pas célébrée (à l’extérieur, sur les frontons).
Votée
à l’unanimité en 2001, la loi Taubira*
demande que l’esclavage soit reconnu comme crime contre l’humanité, et enseigné
en tant que tel. A l’évidence, les
collèges et les lycées Colbert sont au minimum en porte-à-faux par rapport à
cette loi, et par rapport aux valeurs républicaines qu’ils se doivent de
transmettre. Par ailleurs, en outre-mer et dans l’hexagone, plusieurs rues
ou bâtiments ont été débaptisés ces dernières années. En 2002, par exemple, la
rue Richepanse*, à Paris, qui célébrait ce général ayant rétabli l’esclavage en
Guadeloupe, est devenue la rue du Chevalier de Saint-George*, pour rendre
hommage à ce brillant musicien et escrimeur du 18e siècle. Ce changement, qui constitue une sorte de jurisprudence, a
été effectué sans problème majeur.
C’est
pourquoi, dans le cadre de cette rentrée 2017, nous, citoyens, professeurs,
élèves, parents d’élèves, nous demandons
au ministre de l’éducation nationale d’engager une réflexion, en concertation
avec les personnalités qualifiées, les associations, les syndicats et les
établissements concernés, afin que les symboles qui célèbrent Colbert dans
ces institutions éducatives soient remplacés par d’autres noms qui valorisent
plutôt la résistance à l’esclavage. C‘est aussi cela la réparation à laquelle nous appelons le ministre de l’Education
Nationale. »
Notes (à venir)
*Charlottesville :
*général
Lee :
*white
supremacy :
*Colbert :
*Code
noir :
*compagnie des Indes
Occidentales :
*Delgrès :
*le village
de Champagney :
*la loi
Taubira :
*Richepanse :
*chevalier
de Saint-George
Analyse
sommaire
En
ce qui concerne le sieur Colbert Jean-Baptiste, né le 29 août 1619 à Reims,
mort le 6 septembre 1683 à Paris, ancien ministre du roi de France, accusé et présumé
coupable, ce texte constitue à la fois un acte
d’accusation et un réquisitoire
(procédure exceptionnelle justifiée par l’urgence).
La
peine requise est le « châtiment mémoriel », la suppression du nom du
criminel de l’espace public scolaire (on pourrait évoquer, si on était violent,
une sorte de damnatio memoriae !).
Cela est-il justifié ?
Un avatar grotesque de la pétition de 2017 : le brigadiste noir Franco Lollia
Suite à l'assassinat de George Floyd aux Etats-Unis, la polémique contre Colbert a repris en France, avec le soutien désormais de Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage. Mais elle a aussi lieu sur le terrain, avec tagage d'au moins une statue de Colbert, et proclamations enthousiastes de personnes racisées et néanmoins ignorantes.
Lors d'une manifestation devant l'ambassade des USA, le « porte-parole de la Brigade anti-négrophobie », Franco Lollia, aurait déclaré (Charlie Hebdo, 17 juin 2020, page 8) : « Devant l'Assemblée nationale, il y a la statue de Colbert, le gros fils de pute qui a écrit le Code noir [...]. On ne peut pas rendre hommage à George Floyd sans faire une visite à cette putain de statue qui prouve que la France est raciste et négrophobe. Ecoutez, on va dire : "La France est négrophobe » [le slogan est scandé x fois par la foule]. Ecoutez, on va dire : "Nique Colbert" [idem] ».
Arriba, Franco, arriba !
Un avatar grotesque de la pétition de 2017 : le brigadiste noir Franco Lollia
Suite à l'assassinat de George Floyd aux Etats-Unis, la polémique contre Colbert a repris en France, avec le soutien désormais de Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage. Mais elle a aussi lieu sur le terrain, avec tagage d'au moins une statue de Colbert, et proclamations enthousiastes de personnes racisées et néanmoins ignorantes.
Lors d'une manifestation devant l'ambassade des USA, le « porte-parole de la Brigade anti-négrophobie », Franco Lollia, aurait déclaré (Charlie Hebdo, 17 juin 2020, page 8) : « Devant l'Assemblée nationale, il y a la statue de Colbert, le gros fils de pute qui a écrit le Code noir [...]. On ne peut pas rendre hommage à George Floyd sans faire une visite à cette putain de statue qui prouve que la France est raciste et négrophobe. Ecoutez, on va dire : "La France est négrophobe » [le slogan est scandé x fois par la foule]. Ecoutez, on va dire : "Nique Colbert" [idem] ».
Arriba, Franco, arriba !
A suivre
Compléments
Création : 15 juin 2015
Mise à jour : 9 novembre 2020
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 81. L'affaire Colbert 1. L'acte d'accusation
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2020/06/laffaire-colbert-lacte-daccusation.html
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