lundi 15 juin 2020

QH 81. L'affaire Colbert 1. L'acte d'accusation

Quelques remarques sur la campagne menée par Louis-Georges Tin contre Colbert en 2017, partiellement reprise par Jean-Marc Ayrault en 2020


Classement : France ; règne de Louis XIV ; Jean-Baptiste Colbert ; esclavage ; traite des esclaves




Suite à l’intervention de Jean-Marc Ayrault, dont j’ai pris connaissance le 14 juin 2020, sur la question « Colbert esclavagiste et raciste », je publie avec retard les travaux que j’avais menés sur une pétition rendue publique en septembre 2017.

Référence
*« Mémoire de l’esclavage : "Débaptisons les collèges et les lycées Colbert !" », Le Monde, 16 septembre 2017 (lien sur une version écourtée du texte)  (lien sur le texte complet, titré « Il faut débaptiser les collèges et lycées Colbert ! »)

Présentation
Louis-Georges Tin, président du Comité représentatif des associations noires (CRAN), a lancé il y a quelque temps une campagne contre Colbert dénonçant son rôle dans la traite négrière et l’esclavage dans les colonies françaises et demandant que les collèges et lycées « Colbert » soient débaptisés.
Cette campagne a été rendue publique par la tribune mentionnée ci-dessus.
Je commencerai par citer le texte de cette tribune, en supprimant les ajouts éditoriaux et en mettant en gras les passages d’un intérêt particulier qui seront examinés dans une ou des pages à suivre.

Le texte de la tribune anti-Colbert
« Tous les médias ont parlé de Charlottesville*, de la statue du général Lee*, de la « white supremacy », etc. Mais rares sont ceux qui ont évoqué ce problème dans le contexte français. Or la question des emblèmes esclavagistes dans l’espace public se pose également dans notre pays. Elle est formulée depuis au moins trente ans par des citoyens (qu’ils viennent de l’Outre-mer ou non), qui demandent que ces symboles soient retirés.
Cette exigence suscite chez certains de nos compatriotes une certaine angoisse : jusqu’où, disent-ils, faudra-t-il aller ? La réponse est claire : on ne pourra sans doute pas modifier tous les symboles liés à l’esclavage dans l’espace public, tant ils sont nombreux et intimement liés à notre histoire nationale. Mais on ne peut pas non plus ne rien faire, en restant dans le déni et dans le mépris, comme si le problème n’existait pas. Entre ceux qui disent qu’il faut tout changer et ceux qui disent qu’il ne faut rien changer, il y a probablement une place pour l’action raisonnable.
On pourrait par exemple se concentrer sur les collèges et les lycées Colbert*, qui existent dans plusieurs villes de France. Il s’en trouve à Paris, à Lyon, à Marseille, à Reims, à Thionville, à Tourcoing, à Lorient, à Rouen et dans quelques autres villes. Pourquoi Colbert ? Parce que le ministre de Louis XIV est celui qui jeta les fondements du Code noir*, monstre juridique, qui légalisa ce crime contre l’humanité. Par ailleurs, Colbert est aussi celui qui fonda la compagnie des Indes Occidentales*, compagnie négrière de sinistre mémoire. En d’autres termes, en matière d’esclavage, Colbert symbolise à la fois la théorie et la pratique, et cela, au plus haut niveau.
Ceux qui sont attachés à Colbert à tout prix, et veulent retenir de lui non pas l’esclavagiste, mais le ministre qui sut établir la grandeur de l’économie française à l’époque, agissent comme ces gens quelque peu douteux, qui affirment qu’ils célèbrent en Pétain non pas le représentant de Vichy, mais le vainqueur de Verdun. C’est un argument quelque peu délicat. Par ailleurs, comment Colbert a-t-il développé l’économie française au 17e siècle, si ce n’est sur la base de l’esclavage colonial, justement ?
Mais pourquoi évoquer particulièrement les collèges et les lycées ? Parce que la question posée aujourd’hui est justement celle de l’histoire, de la mémoire et de la transmission. Si l’école républicaine elle-même renonce à ces valeurs, elle n’a plus lieu d’être. Comment peut-on sur un même fronton inscrire le nom de « Colbert », et juste en dessous, « liberté, égalité, fraternité » ? Comment peut-on enseigner le vivre ensemble et les valeurs républicaines à l’ombre de Colbert ?
Certains commentateurs affirment qu’il ne faut pas changer ces noms, car il convient de conserver la trace des crimes commis. Mais les noms de bâtiments ne servent pas à garder la mémoire des criminels, ils servent en général à garder la mémoire des héros. C’est pour cela qu’il n’y a pas en France de rue Pierre Laval, alors qu’il y a de nombreuses rues Jean Moulin. Et si on veut vraiment sauvegarder la mémoire de l’esclavage, il vaudrait mieux donner à ces établissements le nom de ces héros, noirs ou blancs, bien souvent méconnus, qui luttèrent contre l’esclavage. On pense ici à des figures comme Delgrès*, le héros guadeloupéen, ou aux habitants du village de Champagney* qui, pendant la Révolution, plaidèrent pour l’abolition. Pour ce qui est de Colbert, il faut bien sûr que son action soit enseignée (à l’intérieur de ces établissements, dans les cours d’histoire), mais non pas célébrée (à l’extérieur, sur les frontons).
Votée à l’unanimité en 2001, la loi Taubira* demande que l’esclavage soit reconnu comme crime contre l’humanité, et enseigné en tant que tel. A l’évidence, les collèges et les lycées Colbert sont au minimum en porte-à-faux par rapport à cette loi, et par rapport aux valeurs républicaines qu’ils se doivent de transmettre. Par ailleurs, en outre-mer et dans l’hexagone, plusieurs rues ou bâtiments ont été débaptisés ces dernières années. En 2002, par exemple, la rue Richepanse*, à Paris, qui célébrait ce général ayant rétabli l’esclavage en Guadeloupe, est devenue la rue du Chevalier de Saint-George*, pour rendre hommage à ce brillant musicien et escrimeur du 18e siècle. Ce changement, qui constitue une sorte de jurisprudence, a été effectué sans problème majeur.
C’est pourquoi, dans le cadre de cette rentrée 2017, nous, citoyens, professeurs, élèves, parents d’élèves, nous demandons au ministre de l’éducation nationale d’engager une réflexion, en concertation avec les personnalités qualifiées, les associations, les syndicats et les établissements concernés, afin que les symboles qui célèbrent Colbert dans ces institutions éducatives soient remplacés par d’autres noms qui valorisent plutôt la résistance à l’esclavage. C‘est aussi cela la réparation à laquelle nous appelons le ministre de l’Education Nationale. »

Notes (à venir)
*Charlottesville :
*général Lee :
*white supremacy :
*Colbert :
*Code noir :
*compagnie des Indes Occidentales :
*Delgrès :
*le village de Champagney :
*la loi Taubira :
*Richepanse :
*chevalier de Saint-George

Analyse sommaire
En ce qui concerne le sieur Colbert Jean-Baptiste, né le 29 août 1619 à Reims, mort le 6 septembre 1683 à Paris, ancien ministre du roi de France, accusé et présumé coupable, ce texte constitue à la fois un acte d’accusation et un réquisitoire (procédure exceptionnelle justifiée par l’urgence).
La peine requise est le « châtiment mémoriel », la suppression du nom du criminel de l’espace public scolaire (on pourrait évoquer, si on était violent, une sorte de damnatio memoriae !).
Cela est-il justifié ? 

Un avatar grotesque de la pétition de 2017 : le brigadiste noir Franco Lollia
Suite à l'assassinat de George Floyd aux Etats-Unis, la polémique contre Colbert a repris en France, avec le soutien désormais de Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage. Mais elle a aussi lieu sur le terrain, avec tagage d'au moins une statue de Colbert, et proclamations enthousiastes de personnes racisées et néanmoins ignorantes. 
Lors d'une manifestation devant l'ambassade des USA, le « porte-parole de la Brigade anti-négrophobie », Franco Lollia, aurait déclaré (Charlie Hebdo, 17 juin 2020, page 8) : « Devant l'Assemblée nationale, il y a la statue de Colbert, le gros fils de pute qui a écrit le Code noir [...]. On ne peut pas rendre hommage à George Floyd sans faire une visite à cette putain de statue qui prouve que la France est raciste et négrophobe. Ecoutez, on va dire : "La France est négrophobe » [le slogan est scandé x fois par la foule]. Ecoutez, on va dire : "Nique Colbert" [idem] ».
Arriba, Franco, arriba !

A suivre


Création : 15 juin 2015
Mise à jour : 9 novembre 2020
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 81. L'affaire Colbert 1. L'acte d'accusation
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2020/06/laffaire-colbert-lacte-daccusation.html








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