Quelques informations sur la campagne menée en 2017 par Louis-Georges Tin et le CRAN contre Colbert, partiellement reprise par Jean-Marc Ayrault en juin 2020
Classement :
Ceci est
une suite des pages
*L'affaire
Colbert 1. L'acte d'accusation, dans laquelle on
trouvera le texte de la pétition contre Colbert lancée par le CRAN en 2017 ;
*L'affaire
Colbert 2 Défense sur la forme, dans laquelle j’étudie
la question : si coupable il y a, Colbert est-il le seul et le principal ?
La « défense sur le fond » qui vient ensuite doit
prendre en compte le seul texte à la rédaction duquel Colbert ait participé, un
édit de mars 1685, dont il n’a pas vu la promulgation puisqu’il est mort en septembre
1683.
Je reproduis ci-dessous le texte de cet édit, qui comporte 60 articles.
Référence
*« Edit du Roi Touchant la Discipline des
Esclaves Nègres des Isles de l'Amérique Française, donné à Versailles au mois
de mars 1685 », publié dans Recueil
d’édits, déclarations et arrests de Sa Majesté concernant l’administration de
la Justice & la Police des Colonies françaises de l’Amérique, & les
Engagés, Paris, MDCCXLIV (1744), page 81 et suivantes.
Cet ouvrage est disponible sur le site Gallica (lien vue 79 et suivantes).
Présentation éditoriale
La page 81 de cet ouvrage comporte un en-tête libellé comme suit :
« CODE NOIR
OU RECUEIL D’EDITS, DECLARATIONS ET ARRÊTS, Concernant la Discipline & le
Commerce des Esclaves Nègres des Isles Françaises de l’Amérique ».
L’édit de 1685 apparaît immédiatement au-dessous, ce qui en fait le
premier texte du recueil appelé « Code noir », mais cette formule n’est pas contenue dans l’édit lui-même. Fait peu important, bien entendu, si ce n’est que les ennemis de Colbert y accordent de l'importance.
Par ailleurs, l’édit de 1685 parle d’ « esclaves » et de « nègres » : le sujet est clair, il s’agit
de l’esclavage des Noirs dans les Antilles françaises.
Il est cependant utile de voir ce qui est précisément stipulé
Je reproduis le texte (sauf erreur !) tel qu'il apparaît dans cette édition de 1744, y compris les notes de bas de page, qui se réfèrent à des textes postérieurs à 1685, principalement à un édit de 1724. Les astérisques sont des appels de notes personnelles.
Je reproduis le texte (sauf erreur !) tel qu'il apparaît dans cette édition de 1744, y compris les notes de bas de page, qui se réfèrent à des textes postérieurs à 1685, principalement à un édit de 1724. Les astérisques sont des appels de notes personnelles.
Texte
de l’édit de 1685 sur la « discipline des esclaves nègres des îles de l’Amérique
française »
« EDIT
DU ROI,
Touchant
la Discipline des Esclaves Nègres des Isles de l’Amérique Française.
Donné
à Versailles au mois de Mars 1685.
LOUIS,
par la grâce de Dieu, Roi de France & de Navarre : A tous présens
& à venir, SALUT. Comme nous devons également nos soins à tous les Peuples
que la Divine Providence a mis sous notre obéissance, Nous avons bien voulu
faire examiner en notre présence les mémoires qui nous ont été envoyés par nos
Officiers de nos Isles de l’Amérique, par lesquels ayant été informé du besoin
qu’ils ont de notre Autorité & de notre Justice, pour y maintenir la
discipline de l’Eglise Catholique, Apostolique & Romaine, & pour y
régler ce qui concerne l’État, & la qualité des Esclaves dans nosdites
Isles, & désirant y pourvoir, & leur faire connoître qu’encore qu’ils
habitent des climats infiniment éloignés de notre séjour ordinaire, nous leur
sommes toujours présens, non-seulement par l’étendue de notre puissance, mais
encore par la promptitude de notre application à les secourir dans leurs
nécessités. A CES CAUSES, de l’avis de notre Conseil, & de notre certaine
science, pleine puissance & autorité Royale, nous avons dit, statué &
ordonné, disons, statuons & ordonnons, voulons & nous plaît ce qui
ensuit.
ARTICLE
PREMIER
(1)
Voulons & entendons que l’Edit du feu Roi de glorieuse mémoire, notre
très-honoré Seigneur & Père du 23 Avril 1615, soit exécuté dans nos
Isles ; ce faisant, enjoignons à tous nos Officiers de chasser hors de nos
Isles tous les Juifs qui y ont établi leur résidence, ausquels, comme aux
ennemis déclarés du nom Chrétien, nous commandons d’en sortir dans trois mois,
à compter du jour de la publication des Présentes, à peine de confiscation de
corps & de biens.
(1)
Voyez l’Edit du mois de Mars 1724,
concernant les Esclaves Nègres de la Louisiane.
II.
Tous les Esclaves qui seront dans nos Isles, seront bâtisés & instruits
dans la Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Enjoignons aux Habitans
qui achèteront des Nègres nouvellement arrivés d’en avertir les Gouverneur
& Intendant* desdites Isles dans huitaine au plus tard, à peine d’amende
arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire
& bâtiser dans le temps convenable.
III.
Interdisons tout exercice public d’autre Religion que de la Catholique,
Apostolique & Romaine ; voulons que les contrevenans soient punis
comme rebelles & désobéissans à nos Commandemens ; deffendons toutes
assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules, illicites
& séditieuses, sujettes à la même peine, qui aura lieu, même contre les
Maîtres qui les permettront ; ou souffriront à l’égard de leurs Esclaves.
IV.
Ne seront préposés aucuns Commandeurs à la direction des Nègres, qui ne fassent
profession de la Religion Catholique, Apostolique & Romaine, à peine de confiscation
desdits Nègres, contre les Maîtres qui les auront préposés, & de punition
arbitraire contre les Commandeurs qui auront accepté ladite direction.
V.
Deffendons à nos sujets de la R. P. R.* d’apporter aucun trouble ni empêchement
à nos autres Sujets même à leurs Esclaves, dans le libre exercice de la
Religion Catholique, Apostolique & Romaine, à peine de punition exemplaire.
VI.
Enjoignons à tous nos Sujets, de quelque qualité & conditions qu’ils
soient, d’observer les jours de Dimanches & Fêtes qui sont gardées par nos
Sujets de la Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Leur deffendons de
travailler, ni faire travailler leurs Esclaves esdits jours, depuis l’heure de
minuit jusqu’à l’autre minuit, soit à la culture de la terre, à la manufacture
des sucres, & à tous autres ouvrages, à peine d’amende & de punition
arbitraire contre les Maîtres, & de confiscation, tant des sucres, que
desdits Esclaves, qui seront surpris par nos Officiers dans leur travail. (1)
(1)
Pourront néanmoins envoyer leurs Esclaves aux Marchés. Cette disposition est ajoutée à l’art. 5. de l’Edit de 1724.
VII.
Leurs deffendons pareillement de tenir le marché des Nègres, & tous autres marchés
lesdits jours, sur pareilles peines & de confiscation des marchandises qui
se trouveront alors au Marché, & d’amende arbitraire contre les Marchands.
VIII.
Déclarons nos Sujets qui ne sont pas de la Religion Catholique, Apostolique
& Romaine, incapables de contracter à l’avenir aucun mariage valable.
Déclarons bâtards les enfans qui naîtront de telles conjonctions, que nous
voulons être tenues & réputées, tenons & réputons pour vrais
concubinages.
IX.
Les hommes (1) libres qui auront un, ou plusieurs enfans de leur concubinage
avec leurs esclaves, ensemble les Maîtres qui l’auront souffert, seront chacun
condamnés à une amende de deux mille livres de Sucre ; & s’ils sont
les Maîtres de l’Esclave, de laquelle ils auront eu lesdits enfans, voulons qu’outre
l’amende, ils seront privés de l’Esclave & des Enfans, & qu’elle &
eux soient confisqués au profit de l’Hôpital, sans jamais pouvoir être
affranchis. N’entendons toutefois le présent article avoir lieu, lorsque
l’homme, qui n’étoit point marié à une autre personne durant son concubinage
avec son Esclave, épousera dans les formes observées par l’Église ladite
Esclave, qui sera affranchie par ce moyen, & les enfans rendus libres
& légitimes.
(1)
Voyez l’article 6 de l’Edit de 1724.
X.
Lesdites solemnités préscrites par l’Ordonnance de Blois*, articles 40. 41. 42
& par la Déclaration du mois de Novembre 1639* pour les Mariages, seront
observées, tant à l’égard des personnes libres, que des Esclaves, sans
néanmoins que le consentement du Père & de la Mère de l’Esclave y soit
nécessaire, mais celui du Maître seulement.
XI.
Déffendons (1) aux Curés de procéder aux mariages des Esclaves, s’ils ne font
apparoir du consentement de leur Maître. Deffendons aussi aux Maîtres d’user
d’aucunes contraintes sur leurs Esclaves pour les marier contre leur gré.
(1)
Très-expressément, article 8 de l’Edit de
1724.
XII.
Les enfans qui naîtront de mariage entre Esclaves, seront Esclaves, &
appartiendront aux Maîtres des femmes esclaves, & non à ceux de leurs
maris, si le mari & la femme ont des maîtres différens.
XIII.
Voulons que, si le mari esclave a épousé une femme libre, les enfans tant mâles
que filles suivent la condition de leur mère, & soient libres comme elle,
nonobstant la servitude de leur père ; & que, si le père est libre,
& la mère esclave, les enfans soient esclaves pareillement.
XIV.
Les Maîtres seront tenus de faire mettre en Terre-Sainte dans les cimetieres
destinés à cet effet, leurs Esclaves bâtisés ; & à l’égard de ceux qui
mourront sans avoir reçu le Bâtême, ils seront enterrés la nuit dans quelque
champ voisin du lieu où ils seront décédés.
XV.
Deffendons aux Esclaves de porter aucunes armes offensives, ni de gros bâtons, à
peine du fouet, & de confiscation des armes au profit de celui qui les en
trouvera saisis (?), à l’exception seulement de ceux qui seront envoyés à la
chasse par leur Maître, & qui seront porteurs de leurs billet, ou marques
connues.
XVI.
Deffendons pareillement aux Esclaves apartenant à différens Maîtres, de
s’atrouper, soit le jour, ou la nuit, sous prétextes de nôces, ou autrement,
soit chez un de leurs Maîtres, ou ailleurs, & encore moins dans les grands
Chemins, ou lieux écartés, à peine de punition corporelle, qui ne pourra être
moindre que du fouet & de la fleur de Lys*, & en cas de fréquentes
récidives, & autres circonstances aggravantes, pourront être punis de
mort ; ce que nous laissons à l’arbitrage des Juges. Enjoignons à tous nos Sujets de courir sur les Contrevenans, de les arrêter & conduire en prison,
bien qu’ils ne soient Officiers, & qu’il n’y ait contr’eux encore aucun
décret.
XVII.
Les Maîtres qui seront convaincus d’avoir permis, ou tolleré telles assemblées,
composées d’autres Esclaves que de ceux qui leur appartiennent, seront
condamnés en leur propre & privé nom, de reparer tout le dommage qui aura
été fait à ses voisins, à l’occasion desd. Assemblées, & en dix écus (1)
d’amende pour la premiere fois, & au double, au cas de récidive.
(1) L’article 14 de l’Edit de 1724 dit : trente
livres.
XVIII.
Deffendons aux Esclaves de vendre des cannes de Sucre, pour quelque cause, ou
occasion que ce soit, même avec la permission de leur Maître, à peine de fouet
contre les Esclaves, & de dix livres tournois* contre leurs Maîtres qui l’auront
permis, & de pareille amende contre l’acheteur.
XIX.
Leur deffendons (1) aussi d’exposer en vente au Marché, ni de porter dans les
maisons particulieres, pour vendre aucune sorte de denrées, même des fruits,
légumes, buis à brûler, herbes pour nourriture, & des bestiaux à leurs
manufactures, sans permission expresse de leurs Maîtres par un billet, ou par
des marques connues, à peine de revendications des choses ainsi vendues, sans
restitution du prix par leurs Maîtres, & de six livres tournois d’amende à
leur profit contre les acheteurs.
(1) Voyez l’article 15 de l’Edit de 1724.
XX.
Voulons à cet effet que deux personnes soient préposées par nos Officiers dans
chacun Marché, pour examiner les denrées et marchandises qui seront apportées
par les Esclaves, ensemble les billets & marques de leurs Maîtres.
XXI.
Permettons à tous nos Sujets habitans des Isles, de se saisir de toutes les
choses dont ils trouveront les Esclaves chargés, lorsqu’ils n’auront point de
billets de leurs Maîtres, si les habitations sont voisines du lieu où les
Esclaves auront été surpris en délits, sinon elles seront incessamment envoyées
à l’Hôpital, pour y être en dépôt, jusqu’à ce que les Maîtres en ayent été
avertis.
XXII.
Seront tenus les Maîtres de fournir par chaque semaine à leurs Esclaves, âgés
de dix ans & au-dessus pour leur nourriture, deux pots & demi mesure du
pays de farine de Magnoc, ou trois cassaves pésant deux livres & demi chacun
au moins, ou choses équivalentes, avec deux livres de bœuf salé, ou trois
livres de poisson, ou autre chose à proportion ; & aux enfans, depuis
qu’ils sont sévrés, jusqu’à l’âge de dix ans, la moitié des vivres ci-dessus.
XXIII.
Leur deffendons de donner aux Esclaves de l’eau-de-vie de canne guildent*, pour
tenir lieu de la subsistance mentionnée au précédent Article.
XXIV.
Leur deffendons pareillement de se décharger de la nourriture & subsistance
de leurs Esclaves, en leur permettant de travailler certain jour de la semaine,
pour leur compte particulier.
XXV.
Seront tenus les Maîtres de fournir à chacun Esclave par chacun an, deux habits
de toile, ou quatre aulnes de toile, au gré desdits Maîtres.
XXVI.
Les Esclaves qui ne seront point nourris, vêtus & entretenus par leurs
Maîtres, selon que nous l’avons ordonné par ces présentes, pourront en donner
avis à notre Procureur (1), & mettre leurs mémoires entre ses mains, sur
lesquels & même d’office, si les avis lui en viennent d’ailleurs, les
Maîtres seront poursuivis à sa Requête & faus frais, ce que nous voulons être
observé pour les crimes, & traitemens barbares & inhumains des Maîtres
envers leurs Esclaves
(1) Général,
ou aux Officiers de Justices inférieures, article
20 de l’Edit de 1724.
XXVII.
Les Esclaves infirmes par vieillesse, maladie, ou autrement, soit que la
maladie soit incurable ou non, seront nourris & entretenus par leurs
Maîtres, & en cas qu’ils les eussent abandonnés, lesdits Esclaves seront
adjugés à l’Hôpital, (1) auquel les Maîtres seront condamnés de payer six sols
par chacun jour, pour la nourriture & entretien de chacun Esclave.
(1) Le
plus proche. Voyez l’article 21 de l’Edit
de 1724.
XXVIII.
Déclarons les Esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leur Maître, &
tout ce qui leur vient par industrie, ou par la libéralité d’autres personnes,
ou autrement, à quelque titre que ce soit, être acquis en pleine propriété à
leur Maître, sans que les enfans des Esclaves leur Pere & Mere, leurs
Parens, & tous autres, Libres, ou Esclaves, puissent rien prétendre par
succession, disposition entre-vifs, ou à cause de mort, lesquelles dispositions
nous déclarons nulles, ensemble toutes les promesses & obligations qu’ils
auroient faites, comme étant faites par gens incapables de disposer &
contracter de leur chef.
XXIX.
Voulons néanmoins que les Maïtres soient tenus de ce que les Esclaves auront
fait par leur ordre & commandement, ensemble de ce qu’ils ont geré &
négocié dans la boutique, & pour l’espèce particuliere du commerce, à
laquelle les Maîtres les auront préposés : & en cas que leurs Maîtres
n’ayent donné aucun ordre, & ne les ayent point préposés, ils seront tenus seulement
jusqu'à concurrence de ce qui aura tourné à leur profit ; & si rien n’a
tourné au profit des Maîtres, le pécule desdits Esclaves, que leurs Maîtres
leur auront permis, en sera tenu, après que leurs Maîtres en auront déduit par
préférence ce qui pourra leur en être dû, sinon que le pécule consistât en
tout, ou partie en marchandises, dont les Esclaves auront permission de faire
trafic à part, sur lesquelles leurs Maîtres viendront seulement par
contribution au sol la livre avec les autres créanciers.
XXX.
Ne pourront les Esclaves être pourvus d’Offices*, ni de Commissions*, ayant quelques
fonctions publiques, ni être constitués agens par autres que leurs Maîtres,
pour agir & administrer aucun négoce, ni être arbitres, experts, ou
témoins, (1) tant en matière civile que criminelle ; & en cas qu’ils
soient ouis en témoignage, leurs dépositions ne serviront que de mémoires, pour
aider les Juges à s’éclaircir d’ailleurs, sans qu’on en puisse tirer aucune
présomption, ni conjecture, ni adminicule de preuve.
(1) Voyez l’article 24 de l’Edit
de 1724.
XXXI. Ne pourront aussi
les Esclaves être partie, ni être en Jugement en matière civile, tant en
demandant qu’en deffendant, ni être partie civile en matière criminelle, sauf à
leurs Maîtres d’agir & deffendre en matière civile, & de poursuivre en
matière criminelle la réparation des outrages & excès qui auront été commis
contre les Esclaves.
XXXII. Pourront les
Esclaves être poursuivis criminellement, sans qu’il soit besoin de rendre leur
Maître partie, sinon en cas de complicité ; & seront lesdits Esclaves
accusés, jugés en première Instance par Juges ordinaires, & par appel au
Conseil Souverain* sur la même instruction, avec les mêmes formalités que les
personnes libres.
XXXIII.
L’Esclave qui aura frappé son Maître, ou la Femme de son Maître, sa Maîtresse,
ou leurs enfans, avec contusion de sang, ou au visage, sera puni de mort.
XXXIV.
Et quant aux excès & voies de fait, qui seront commis par les Esclaves,
contre les personnes libres, voulons qu’ils soient sévérement punis, même de
mort s’il y échet.
XXXV.
Les vols qualifiés, même ceux de chevaux, cavalles, mulets, bœufs & vaches,
qui auront été faits par les Esclaves, ou par ceux affranchis, seront punis de
peines afflictives, même de mort, si le cas le requiert.
XXXVI.
Les vols de moutons, chevres, volailles, cannes de Sucres, poix, magnoc, ou
autres légumes, faits par les Esclaves, seront punis selon la qualité du vol,
par les Juges qui pourront, s’il y échet, les condamner à être battus de verges
par l’Exécuteur de la Haute-Justice, & marqués à l’épaule d’une fleur de
Lys.
XXXVII.
Seront tenus les Maîtres, en cas de vol, ou autrement, des dommages causés par
leurs Esclaves, outre la peine corporelle des Esclaves, réparer les torts en
leur nom, s’ils n’aiment mieux abandonner l’Esclave à celui auquel le tort a
été fait, ce qu’ils seront tenus d’opter dans trois jours, à compter du jour de
la condamnation, autrement ils en seront déchus.
XXXVIII.
L’Esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que
son Maître l’aura dénoncé en Justice, aura les oreilles coupées, & sera
marqué d’une fleur de Lys sur une épaule, & s’il récidive un autre mois, à
compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jaret coupé, &
sera marqué d’une fleur de Lys sur l’autre épaule, & la troisième fois il
sera puni de mort.
XXXIX.
Les affranchis (1) qui auront donné retraite dans leurs maisons aux Esclaves fugitifs,
seront condamnés par corps envers leurs Maîtres en l’amende de trois cens
livres de Sucre, par chacun jour de rétention.
(1)
Voyez l’article 34 de l’Edit de 1724.
XL.
L’Esclave puni de mort sur la dénonciation de son Maître, non complice du crime
pour lequel il aura été condamné, sera estimé avant l’exécution, par deux
principaux Habitans de l’Isle qui seront nommés d’office par le Juge, & le
prix de l’estimation sera payé au Maître ; pour à quoi satisfaire il sera
imposé par l’Intendant sur chacune tête de Nègre payant droit, la somme portée
par l’estimation, laquelle sera reglée sur chacun desdits Nègres, & levée
par le Fermier du Domaine Royal d’Occident* pour éviter à frais.
XLI.
Deffendons aux Juges, à nos Procureurs & aux Greffiers, de prendre aucune
taxe dans les procès criminels, contre les Esclaves, à peine de concussion*.
XLII.
Pourront pareillement les Maîtres, lorsqu’ils croiront que leurs Esclaves l’auront
mérité, les faire enchaîner & les faire battre de verges, ou de cordes,
leur deffendant de leur donner la torture, ni de leur faire aucune mutilation
de membre, à peine de confiscation des Esclaves, & d’être procédé contre
les Maîtres extraordinairement*.
XLIII.
Enjoignons à nos Officiers de poursuivre criminellement les Maîtres, ou les
Commandeurs qui auront tué un Esclave (1) sous leur puissance, ou sous leur
direction, & de punir le Maître selon l’atrocité des circonstances ;
& en cas qu’il y ait lieu à l’absolution, permettons à nos Officiers de
renvoyer tans les Maîtres que les Commandeurs absous, sans qu’il ayent besoin
de nos Grâces.
(1)
Ou qui l’auront mutilé, suivant l’article
précédent & le 39 de l’Edit de 1724.
XLIV.
Déclarons les Esclaves être meubles, & comme tels entrer en la Communauté,
n’avoir point de suite par hypothèque, & se partager également entre les
cohéritiers sans préciput, ni droit d’aînesse ; n’être sujets au douaire
Coutumier, au Retrait Féodal & Lignager, aux Droits Féodaux &
Seigneuriaux, aux formalités des Décrets, ni aux retranchemens des quatre
Quints, en cas de disposition à cause de mort, ou testamentaire.
XLV.
N’entendons toutefois priver nos Sujets de la faculté de les stipuler propres à
leurs personnes & aux leurs de leur côté & ligne, ainsi qu’il se
pratique pour les sommes de deniers & autres choses mobiliaires.
XLVI.
Dans les saisies des Esclaves, seront observées les formalités prescrites par
nos Ordonnances, & par la Coûtume de Paris pour les saisies des choses
mobiliaires. Voulons que les deniers en provenant soient distribués par ordre
des saisies ; & en cas de déconfiture, au sol la livre, après que les
dettes privilégiées auront été payées ; & généralement que la
condition des Esclaves soit reglée en toutes affaires, comme celle des autres
choses mobiliaires, aux exceptions suivantes.
XLVII. Ne pourront être saisis & vendus séparement, le Mari & la femme & leurs enfans impuberes, s’ils sont tous sous la puissance du même Maître : déclarons nulles les saisies & ventes qui en seront faites, ce que nous voulons avoir lieu dans les aliénations volontaires, sur peine contre les aliénateurs d’être privés de celui, ou de ceux qu’ils auront gardés, qui seront adjugés aux acquereurs, sans qu’ils soient tenus de faire aucun supplément du prix.
XLVII. Ne pourront être saisis & vendus séparement, le Mari & la femme & leurs enfans impuberes, s’ils sont tous sous la puissance du même Maître : déclarons nulles les saisies & ventes qui en seront faites, ce que nous voulons avoir lieu dans les aliénations volontaires, sur peine contre les aliénateurs d’être privés de celui, ou de ceux qu’ils auront gardés, qui seront adjugés aux acquereurs, sans qu’ils soient tenus de faire aucun supplément du prix.
XLVIII.
Ne pourront aussi les Esclaves, travaillant actuellement dans les Sucreries,
Indigoteries & Habitations, âgés de 14 ans & au dessus, jusqu'à
soixante ans, être saisis pour dettes, sinon pour ce qui sera dû du prix de
leur achat, ou que la Sucrerie, ou Indigoterie, ou Habitation dans laquelle ils
travaillent soient saisis réellement ; deffendons, à peine de nullité, de
procéder par saisie réelle & adjudication par Décret sur les Sucreries,
Indigoteries, ni Habitations, sans y comprendre les Esclaves de l’âge susdit,
& y travaillant actuellement.
XLIX.
Les Fermiers Judiciaires des Sucreries, Indigoteries, ou Habitations saisies
réellement, conjointement avec les Esclaves, seront tenus de payer le prix
entier de leur Bail, sans qu’ils puissent compter parmi les fruits & droits
de leur Bail qu’il percevront, les enfans qui seront nés des Esclaves, pendant
le cours d’icelui, qui n’y entrent point.
L.
Voulons, nonobstant toutes conventions contraires, que nous déclarons nulles,
que lesdits enfans appartiennent à la partie saisie, si les créanciers sont
satisfaits d’ailleurs, ou à l’Adjudicataire, s’il intervient en Décret ;
& qu’à cet effet, mention soit faite dans la derniere affiche, avant
l’interposition du Décret, des enfans nés des Esclaves depuis la saisie
réelle ; que dans la même affiche il soit fait mention des Esclaves
décedés, depuis la saisie réelle dans laquelle ils auront été compris.
LI.
Voulons, pour éviter aux frais & aux longueurs des procédures, que la
distribution du prix entier de l’adjudication conjointe des fonds & des
Esclaves, & de ce qui proviendra du prix des Baux judiciaires, soit faite
entre les créanciers, selon l’ordre de leurs priviléges & hypothéques, sans
distinguer ce qui est provenu du prix des fonds, d’avec ce qui est procédant du
prix des Esclaves.
LII.
Et néanmoins les droits Féodaux & Seigneuriaux ne seront payés qu’à
proportion du prix des fonds.
LIII.
Ne seront reçûs les Lignagers & les Seigneurs Féodaux à retirer les fonds
décretés (1) s’ils ne retirent les Esclaves vendus conjointement avec les
fonds, ni les adjudicataires à retenir les Esclaves sans les fonds.
(1)
Licités, ou vendus volontairement. Article
48 de l’Edit de 1741.
LIV. Enjoignons aux Gardiens Nobles & Bourgeois, Usufruitiers, Admodiateurs
& autres jouissans des fonds auxquels sont attachés des Esclaves qui y
travaillent, de gouverner lesdits Esclaves comme bons peres de famille, sans
qu’ils soient tenus, après leur administration, de rendre le prix de ceux qui
seront décedés, ou diminués par maladie, vieillesse, ou autrement, sans leur
faute ; & sans qu’ils puissent aussi retenir, comme fruits à leur
profit, les enfans nés desdits Esclaves durant leur administration, lesquels
nous voulons être conservés & rendus à ceux qui en seront les maîtres &
propriétaires.
LV.
Les Maîtres âgés de vingt ans (2) pourront affranchir leurs Esclaves par tous
actes entre-vifs, ou à cause de mort, sans qu’ils soient tenus de rendre raison
de leur afranchissement, ni qu’ils ayent besoin d’avis de parens, encore qu’ils
soient mineurs de vingt-cinq ans.
(2)
Cette disposition est changée par
l’article 50 de l’Edit de 1724
LVI.
Les Esclaves (1) qui auront été fais légataires universels par leurs Maîtres,
ou nommés exécuteurs de leurs Testamens, ou Tuteurs de leurs enfans, seront
tenus & réputés, & les tenons & réputons pour afranchis.
(1)
Voyez l’article 51 du même Edit.
LVII.
Déclarons les affranchissemens faits dans nos Isles, leur tenir lieu de
naissance dans nos isles, & les Esclaves affranchis n’avoir besoin de nos
Lettres de naturalité, pour jouir des avantages de nos Sujets naturels dans
notre Royaume, Terres & Pays de notre obéissance, encore qu’ils soient nés
dans les Pays étrangers. (2)
(2)
Voyez l’article 52. Ibidem.
LVIII.
Commandons aux affranchis de porter un respect singulier à leurs anciens
Maîtres, à leurs Veuves, & à leurs Enfans, ensorte que que l’injure qu’ils
leur auront faite soit punie plus griévement que si elle étoit faite à une
autre personne : les déclarons toutefois francs & quittes envers eux
de toutes autres charges, services & droits utiles que leurs anciens
Maîtres voudroient prétendre, tant sur leurs personnes, que sur leurs biens
& successions, en qualité de Patrons.
LIX.
Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges & immunités dont
jouissent les personnes nées libres : voulons que le mérite d’une liberté
acquise produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les
mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres Sujets.
LX.
Déclarons les confiscations & les amendes, qui n’ont point de destination
particulier par ces présentes, nous apartenir, pour être payées à ceux qui sont
préposés à la recette de no revenus. Voulons néanmoins que distraction soit
faite du tiers desdites confiscations, & amendes au profit de l’Hôpital,
établi dans l’Isle où elles auront été adjugées.
SI
DONNONS EN MANDEMENT à nos amés & féaux les Gens tenant notre Conseil
Souverain établi à la Martinique, Guadeloupe, Saint Christophle, que ces
Présentes ils ayent à faire lire, publier & enregistrer, & le contenu
en icelles, garder & observer de point en point selon leur forme &
teneur, sans y contrevenir, ni permettre qu’il y soit contrevenu en quelque
sorte & manière que ce soit, nonobstant tous Edits, Déclarations, Arrêts
& Usages à ce contraires, ausquels nous avons dérogé & dérogeons par
desdites Présentes.
CAR
tel est notre plaisir ; & afin que ce soit chose ferme & fiable à
toujours, nous y avons fait mettre notre Scel.
DONNE
à Versailles, au mois de Mars, l’an de grâce mil six cens quatre-vingt-cinq
& de notre Regne le quarante-deuxième. Signé,
LOUIS. Et plus bas : Par le Roy,
COLBERT*. Visa : LE TELLIER*. Et
scellé du Grand Sceau de cire verte en lacs* de Soye verte & rouge.
Lû, publié & enregistré le présent Edit, ouy & ce requérant le Procureur Général du Roy, pour être exécuté selon sa forme & teneur, & sera à la diligence dudit Procureur Général, envoyé copies d’icelui aux Siéges Ressortissant du Conseil, pour y être pareillement lû, publié & enregistré. Fait & donné au Conseil Souverain de la Côte Saint Domingue, tenu au petit Gonave*, le 6. May 1687. Signé, MORICEAU*. »
Lû, publié & enregistré le présent Edit, ouy & ce requérant le Procureur Général du Roy, pour être exécuté selon sa forme & teneur, & sera à la diligence dudit Procureur Général, envoyé copies d’icelui aux Siéges Ressortissant du Conseil, pour y être pareillement lû, publié & enregistré. Fait & donné au Conseil Souverain de la Côte Saint Domingue, tenu au petit Gonave*, le 6. May 1687. Signé, MORICEAU*. »
Notes
Notes des articles
*les Gouverneur et Intendant (article II) : le gouverneur est une autorité militaire, l'intendant une autorité civile.
*la R.P.R. (article V) : la « religion prétendue réformée », le protestantisme ; l'édit de Fontainebleau, révoquant l'édit de Nantes, date du 18 octobre 1685
*deux mille livres de Sucre (article IX) : sans doute le prix de 2 000 livres de sucre (1 livre = environ 450 g)
*Ordonnance de Blois (article X) : promulguée en 1579, elle impose quelques règles de droit civil concernant les mariages (notamment la tenue par les curés d'un registre des mariages)
*déclaration du mois de novembre 1639 (article X) : « Déclaration sur les formalités de mariage, les qualités requises, le crime de rapt, etc. », du 26 novembre 1639
*fleur de lys (article XVI) : marque au fer rouge
*livre tournois (article XVIII) : monnaie de compte du royaume, obligatoire à partir de 1667 ; non frappée, mais la pièce du « franc à cheval » (1360) valait une livre tournois ; le louis d'or (1641) = 5 livres ; l'écu d'argent (1641) = 3 livres
*canne guildent (article XXIII) : ?
*offices, commissions (article XXX) : les offices sont des charges dont le titulaire achète la propriété héréditaire (le titre du détenteur de telles charges est « officier ») ; les commissions sont des charges attribuées par nomination royale (le titre est « commissaire »)
*Conseil souverain (article XXXII et conclusion) : cour de justice (équivalant à ce qui en France était appelé Parlement) mise en place en 1664, au moment de l'étatisation de l'administration des colonies des Antilles.
*fermier du domaine royal d'Occident (article XL) : le domaine royal d'Occident est un ensemble de droits (taxes, monopoles) existant dans les colonies d'Amérique (Nouvelle-France et Antilles) ; ces droits sont affermés à partir de 1674, la ferme d'Occident constituant une des Cinq Grosses fermes, qui vont ensuite former la Ferme générale (1726)
*concussion (article XLI) : à venir
*procédé extraordinairement (article XLII) : cf. une déclaration royale de 1736 (lien) qui utilise cette expression à propos de curés qui auraient rédigé les actes de baptême, etc., sur des feuilles volantes, donc sur un sujet qui ne relève pas du droit criminel.
Notes de la conclusion
*concussion (article XLI) : à venir
*procédé extraordinairement (article XLII) : cf. une déclaration royale de 1736 (lien) qui utilise cette expression à propos de curés qui auraient rédigé les actes de baptême, etc., sur des feuilles volantes, donc sur un sujet qui ne relève pas du droit criminel.
Notes de la conclusion
*Colbert :
Jean-Baptiste Antoine Colbert, ministre de la Marine de 1683 à 1690 , succédant
à son père (1619-1683)
*Le
Tellier : François Michel Le Tellier, marquis de Louvois (1641-1691), ministre de la
Guerre (« Louvois »)
*lacs : liens (cf. « lacets »)
*petit
Gonave : localité et port de l’île haïtienne de Gonâve (localisation sur l'île à
préciser)
*Moriceau : officier royal (non identifié). Ce paragraphe montre qu'il y a eu extension du ressort d'application à la colonie française de Saint-Domingue (actuelle Haïti).
À
suivre
A venir
*Défense sur les principes : le problème de la « justice historique rétrospective »
*Défense sur les principes : le problème de la « justice historique rétrospective »
Création : 18 juin 2020
Mise à jour : 15 juillet 2020 (notes)
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 83. L'affaire Colbert 3. Texte de l'édit de 1685 sur l'esclavage dans les Antilles françaises
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2020/06/laffaire-colbert-texte-de-ledit-de-1685.html
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