dimanche 17 janvier 2021

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Territoires : de l'Empire au village

par

Jacques Richard



Dernière publication : 30 avril 2020

Blog créé le 22 février 2014



Questions d'histoire




Dernière publication : 17 janvier 2021

Blog créé le 29 novembre 2015






QH 95. Indépendance passée et revendication indépendantiste

Quelques remarques à propos de l’histoire du royaume de Navarre et de l'Etat bourguignon, en relation avec la supposée indépendance du duché de Bretagne au Moyen Âge


Classement



 
Le fétichisme de l'indépendance des temps jadis
es indépendantistes régionaux (bretons, catalans, par exemple) fondent une partie de leur revendication sur le fait que le territoire qu’ils ambitionnent de diriger « en toute indépendance » aurait été autrefois « indépendant ». Par exemple, on peut entendre dire que « la Catalogne était indépendante jusqu’en 1714 », « jusqu’à son annexion par la France en 1532, la Bretagne était indépendante ». Ces affirmations introduisent subrepticement l’idée que ces entités ont été « victimes d’une injustice », « spoliées » et que leur retour à l’indépendance ne serait que le rétablissement d’un « ordre juste » des choses.
Cette justification de l’indépendance future par l’indépendance passée est absurde : dans la réalité des processus historiques, il n’est jamais question de justice, mais de rapports de forces. L’indépendance passée ne « justifie » pas plus l’indépendance future que la dépendance passée et actuelle ne justifie le maintien éternel de la dépendance. Le problème est l’existence ou la non-existence du rapport de forces nécessaire.
Pour étudier cette question des rapports de forces, je prendrai l’exemple d’un territoire qui, dans le cadre du système politico-juridique de l’Ancien Régime, était formellement doté de l’indépendance, et qui présente l’avantage de ne faire l’objet d’aucune demande indépendantiste spécifique (bien que faisant partie du Pays basque, il puisse être revendiqué par les indépendantistes basques, mais seulement comme « pays » du futur « État basque ») : il s’agit du royaume de Navarre tel qu’il a existé de 1512 à 1789, permettant aux Bourbons, après l’avènement (1589) d’Henri III de Navarre comme roi de France (« Henri IV »), de se dire « rois de France et de Navarre ».

Indépendance formelle et indépendance réelle
La question de l'indépendance des entités politiques peut être vue sous deux angles :
*du point de vue de l'indépendance formelle (fondée en général sur une reconnaissance internationale, celle de l'ONU aujourd'hui, celle du pape au Moyen Âge) ;
*du point de vue de l'indépendance réelle, celle qui fait qu'une entité formellement indépendante n'a que très peu d'indépendance réelle ou qu'une entité formellement dépendante a une véritable indépendance, voire une véritable puissance géopolitique.

Pour remonter à une période proche du Moyen Âge (époque de l'indépendance supposée de la Bretagne), je prendrai deux exemples tout à fait extrêmes : 
*celui du royaume de Navarre à l'époque où il ne disposait plus comme territoire que de la  Basse-Navarre (Saint-Jean-Pied-de-Port, Saint-Palais) après avoir été pour la plus grande part conquis par le roi d'Aragon et régent de Castille Ferdinand le Catholique (exemple d'indépendance formelle sans la moindre indépendance réelle) ;
*celui de ce qu'on peut appeler Etat  bourguignon constitué au XV° siècle à partir du duché de Bourgogne (capitale : Dijon) par les ducs de la maison de Valois (exemple de dépendance formelle, mais d'indépendance réelle). 

L'EXEMPLE DU ROYAUME DE NAVARRE de 1512 à 1789 (indépendance formelle et impuissance réelle)
Histoire du royaume de Navarre jusqu’en 1529
Un État navarrais apparait formellement dès le IXe siècle (capitale : Pampelune). Cet État, qui va devenir le royaume de Navarre, se trouve rapidement bloqué dans son extension territoriale par celle des deux puissances que sont le royaume de Léon (puis de Castille) et le royaume d’Aragon. Il cesse très tôt de participer directement à la Reconquista. La fin du processus de reconquête en 1492, concomittante avec l’union dynastique des royaumes de Castille et d’Aragon, le place dans une situation précaire. En 1512, Ferdinand d’Aragon envahit et annexe la Navarre jusqu’aux cols pyrénéens : le « royaume de Navarre » (qui est alors aux mains de la dynastie des comtes de Foix/seigneurs d’Albret) subsiste au nord du col de Roncevaux, jusqu’à Saint-Palais en passant par Saint-Jean-Pied-de-Port ; ce territoire de petite taille devient un enjeu des guerres entre François 1er et Charles Quint jusqu’en 1529 (traité de la Paix des Dames) : Charles Quint (en tant que roi de Castille et roi d’Aragon) renonce formellement à ce reliquat de l’ancien royaume.

Le royaume de Navarre de 1529 à 1589
En 1542, Jeanne d’Albret, reine de Navarre (fille d’Henri II de Navarre et de Marguerite d’Angoulême, dite « Marguerite de Navarre », sœur de François 1er), épouse Antoine de Bourbon. Leur fils Henri devient roi de Navarre en 1572, puis roi de France en 1589.

Les rapports de forces favorables au « royaume de Navarre » du XVIème siècle
Pour expliquer le maintien d’une Navarre indépendante sur un territoire aussi limité (la « Basse-Navarre »), on voit qu’a joué un premier rapport de forces : celui qui oppose la France à l’Espagne de Charles Quint ; pour le roi de France, la souveraineté espagnole ne peut pas s’étendre au nord des cols pyrénéens. Il protège donc l'indépendance du royaume croupion.
Le second rapport de forces est celui qui existe entre le roi de France et la dynastie de Navarre, qui est en même temps à la tête de nombreuses possessions en France : seigneurie d’Albret, comté de Périgord et comté de Limoges ; comté de Foix, comté de Bigorre, vicomté de Béarn : au total, les rois de Navarre sont à la tête d’un ensemble territorial assez puissant, d’autant plus qu’il est localisé dans le sud-ouest de la France. Cet ensemble se renforce après le mariage de Jeanne d’Albret avec Antoine de Bourbon (duché de Bourbon, etc.). Cela forme un ensemble féodal puissant, à une époque où la monarchie française est victime des guerres de religion. Le rapport de forces est ici momentanément favorable à la dynastie féodale.
Dans cet ensemble, le « royaume de Navarre » proprement dit constitue un élément secondaire de puissance effective ; les villes préférées de la dynastie de Navarre sont d'ailleurs Pau (Béarn) et Nérac (Albret) ; mais il est porteur d’un titre royal qui a une grande importance symbolique. Dans ces conditions, sa survie en tant que « royaume indépendant » dépend du destin de l’ensemble féodal « Navarre-Albret-Béarn-Foix-Bourbonnais-etc. » (NABFB+). 
L’histoire de France depuis l’an 1000 montre que cette entité politique était vouée à l’absorption par le royaume de France. Cela se produit assez rapidement par suite d’un hasard généalogique : le fait qu’à cette époque, les Bourbons sont héritiers du trône de France en cas de défaillance généalogique des Valois : le chef de la maison de Bourbon est « premier prince du sang », fait qui a pu jouer un rôle dans le mariage royal d’Antoine de Bourbon.

Le royaume de Navarre de 1589 à 1789
En 1589, le dernier Valois, Henri III, meurt sans laisser de fils ; Henri III de Navarre devient roi de France. Il prend le titre de « roi de France et de Navarre ». En 1607, les possessions féodales que détient Henri IV (relevant du royaume de France) sont intégrées au domaine royal. En 1620, c’est le tour des territoires souverains, notamment du royaume de Navarre (édit de Pau). Le royaume de Navarre est cependant maintenu symboliquement pour la gloire d’être doublement roi. Ce dernier avatar d'indépendance disparait au moment de la Révolution française, lorsque Louis XVI devient « roi des Français » (6 novembre 1789), puis que le territoire de la Basse-Navarre est intégré dans le département des Basses-Pyrénées (chef-lieu : Pau)...

L'EXEMPLE DE L'ETAT BOURGUIGNON de 1361 à 1477 (dépendance formelle et puissance politique de premier plan)

Sous Philippe le Hardi et Jean sans Peur (1361-1419)
Les ducs de Bourgogne de la fin du Moyen Âge (Philippe le Hardi, Jean sans Peur, Philippe le Bon, Charles le Téméraire) sont de sang royal français, ils sont princes du sang, en bonne position dans l'ordre de succession au trône de France, Philippe le Hardi étant un fils cadet du roi Charles V. 
*Dès le règne ducal de Philippe commence le rassemblement autour du duché de Bourgogne (capitale : Dijon) de plusieurs fiefs, certains de France, d'autres d'Empire : notamment le comté de Flandre et le comté d'Artois (France), le comté de Bourgogne (Dole), le duché de Brabant, le comté de Hainaut, le duché de Luxembourg, etc. (Empire). Ils se trouvent à la tête d'une principauté féodale assise sur des territoires étendus et riches.
Sous le règne de Charles VI (la France est alors en paix avec l'Angleterre, depuis le traité de Brétigny), Philippe le Hardi, puis Jean sans Peur essaient de contrôler le gouvernement du royaume, mais doivent composer avec une autre lignée de sang royal, celle des ducs d'Orléans. L'assassinat de Louis d'Orléans en 1405 entraîne une guerre civile (Armagnacs contre Bourguignons). En 1415, le roi d'Angleterre Henri IV, reprenant les prétentions d'Edouard III au trône de France) rentre en guerre et occupe la Normandie après sa victoire d'Azincourt.

Sous Philippe le Bon (1419-1463)
Le grand changement a lieu en 1419 avec l'assassinat de Jean sans Peur lors d'une entrevue avec le fils de Charles VI, le dauphin Charles. Philippe le Bon, considérant que celui-ci a trahi ses devoirs féodaux, reconnait les prétentions de Henri IV. En 1420, Henri IV, Philippe le Bon et la reine Isabeau signent le traité de Troyes qui évince Charles de la succession de France, celle-ci revenant en 1422 au roi d'Angleterre Henri V à la mort de Charles VI, Henri IV étant mort entre temps. Commence alors une phase particulière de la guerre de Cent Ans, durant laquelle le roi Charles VII contrôle le Sud-Ouest du royaume (sauf l'Aquitaine), tandis que le Nord et l'Est sont aux mains des Anglais et des Bourguignons. 
On peut donc considérer que, à partir de 1419, Philippe le Bon, maître des deux Bourgogne et des Pays-Bas (les "Pays de par deça") est indépendant de fait, détenant une puissance qui lui permet de parler d'égal à égal avec les représentants du roi d'Angleterre. Cette période s'achève en 1429, après l'intervention de Jeanne d'Arc et le sacre de Charles VII à Reims.
En 1435, Philippe le Bon abandonne les Anglais et se réconcilie avec Charles VII (traité d'Arras). Mais son indépendance de fait persiste. Philippe maintient de bons rapport avec le roi de France, mais dès la fin de son règne, son successeur, le comte de Charolais Charles le Téméraire manifeste une volonté de rupture. 

Sous Charles le Téméraire (1463-1477)
Devenu duc, Charles le Téméraire entre très tôt en conflit avec Louis XI, en liaison avec d'autres féodaux, notamment le duc de Bretagne (François II) et le duc d'Orléans (futur Louis XII). Il triomphe en 1468 à Péronne. 
Son ambition de relier les territoires bourguignons aux territoires néerlandais suscite des conflits avec d'autres puissances. Son projet prend fin face au duc de Lorraine à Nancy où ulk meurt en janvier 1477.
Aussitôt, Louis XI entre en guerre contre son successeur, sa fille Marie, née en 1457. Le duché de Bourgogne est conquis puis confisqué définitivement en 1482. 

Cela marque la fin de la maison de Bourgogne et de l'Etat bourguignon. Mais les Pays-Bas bourguignons passent aux mains de la maison de Habsbourg du fait du mariage (dès 1477) de Marie avec Maximilien d'Autriche, ce qui constitue un nouveau danger pour le royaume de France, surtout lorsque Philippe de Habsbourg (fils de Marie et de Maximilien) devient roi de Castille en 1506, puis son fils Charles roi de Castille et d'Aragon en 1516, empereur en 1520 (Charles Quint).

L'EXEMPLE DU DUCHE DE BRETAGNE du X° siècle à 1491

(...)

CONCLUSIONS

Quelles conclusions tirer ?
Que l’indépendance formelle d’une principauté ne représente pas grand-chose en elle-même.
Qu’elle vaut ce que vaut la puissance réelle du prince qui la détient.
Que par elle-même elle ne justifie rien quant au destin de cette principauté.
Bien entendu, la Catalogne ou la Bretagne étaient des entités dont la puissance intrinsèque était sans commune mesure avec celle de la Navarre du XVIème siècle. Mais ce qui compte, c'est : Quel rapport de forces peuvent établir les indépendantistes catalans ou bretons avec leur opposant respectif ? Et cela amène à se demander : Quel rapport de forces permet à des entités politiques improbables (Monaco, etc.) d'exister comme Etats indépendants ? (Le monde actuel a ceci de particulier qu'il fait prédominer de façon pathologique le juridique sur les rapports de forces réels, jusqu'à un certain point).

Le rôle de « l’indépendance passée » dans l’établissement de rapports de forces
Le fait qu’il y ait eu (autrefois) une indépendance ou qu’il n’y en ait pas eu n’a aucune valeur (actuellement) sur le plan politique et juridique ; cette question a cependant un autre intérêt pour les indépendantistes : si les militants croient fermement à l’indépendance passée, cela pourrait les « galvaniser », et par exemple les amener à accepter de mourir dans une « guerre d’indépendance » (bof !).



Création : 17 janvier 2021
Mise à jour : 25 mars 2025
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Question d’histoire
Page : QH 95. Indépendance passée et revendication indépendantiste
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lundi 14 décembre 2020

QH 94. Portrait de Daniel Picouly en faussaire de l'histoire

Quelques remarques sur un mensonge de Daniel Picouly, de Baptiste Liger (Lire) et de la rédaction de Lire à propos du Code noir


Classement : Daniel Picouly ; Code noir ; intersectionnalisme




Références
*Daniel Picouly, « Blanc sur noir », Lire n° 490, novembre 2020, page 127
*Dany Laferrière, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, Montréel, VLB, 1985

Les auteurs
*Daniel Picouly, né en 1948, est un écrivain français connu (prix Renaudot en 1999 pour L’Enfant léopard)
*Dany Laferrière, né en 1953, est un écrivain haïtien (prix Médicis 2009 pour L’Énigme du retour), membre de l’Académie française depuis 2013 (réception en 2015)

Texte

Analyse
A l’occasion d’une réédition française (Zulma, 2020), Daniel Picouly rend compte du premier livre de Dany Laferrière, qu’il présente comme un « chef-d’œuvre » (pas d’opinion sur ce point).
Il dénonce de façon plus ou moins cryptique le « politiquement correct » qui interdit d’utiliser le mot « nègre » et met en valeur la « franchise » de Laferrière qui, lui, l’utilise ouvertement.
A cette occasion, Picouly donne une citation précise du roman, relative au Code noir : « Le Nègre est un bien meuble. Code noir 1685 », citation qui correspond à l’exergue du roman. Picouly semble aussi se réjouir des menaces proférées à l'encontre de la mémoire de Colbert (auteur supposé de cette prétendue « règle de droit »). On pourrait dire que M. Picouly cède à la facilité, qu'il nage dans le sens d'un courant pourtant dangereux.

Commentaire
En effet, l'exergue proposé par Dany Laferrière est inexact, c'est une fausse citation (par rapport au Code noir). Comme je l’ai montré par d’autres pages (cf. infra), le « Code noir 1685 », qui est en réalité l’« Edit du Roi Touchant la Discipline des Esclaves Nègres des Isles de l'Amérique Française, donné à Versailles au mois de mars 1685 » ; ne dit pas du tout « Le Nègre est un bien meuble », ni même « Les Nègres sont des biens meubles ». Cet édit emploie occasionnellement le mot « nègre » (12 fois) mais il parle le plus souvent des « esclaves » et ce qu’il dit précisément (article 44), c’est « Déclarons les esclaves être meubles ».
« Les esclaves » et non pas « les nègres ».

Picouly répondra peut-être que « c’est pareil », puisque les esclaves étaient tous des noirs. Oui, mais non, puisque l’édit de 1685 prévoit la possibilité d’affranchir les esclaves, donc considère qu’un Noir peut être libre, et même sujet de plein droit du roi de France (article 59). Ceux qui avaient le statut d’esclave étaient certes considérés du point de vue du droit de propriété comme des biens meubles (et non pas « des meubles »-choses), mais ces esclaves n'en étaient pas moins tenus pour être des êtres humains qu’il fallait, notamment, baptiser et éduquer dans la religion catholique (article 2).

Correspondance avec M. Picouly, M. Liger et la rédaction de Lire
Je leur ai adressé plusieurs messages mettant en évidence l’erreur contenue dans la formulation de Dany Laferrière et leur demandant soit de la reconnaître, soit de me prouver que j’ai tort.

Conclusion
N’ayant eu aucune réponse « au bout de cinq à six semaines », j’ai décidé de résilier mon abonnement à Lire et, d’une façon plus générale, de classer désormais les sieurs Picouly et Liger, qui refusent de reconnaître une erreur après en avoir été informés (l’erreur devenant alors un mensonge), refusant même d'en discuter, de les classer dans la catégorie des FAUSSAIRES DE L’HISTOIRE, en l’occurrence de ceux qui se mettent objectivement au service de l’idéologie intersectionnaliste dominant depuis quelques années plusieurs domaines de la vie politique et intellectuelle.
En ce qui concerne M. Laferrière, je ne me prononce pas, n’ayant pas à ce jour entrepris de l’informer de son erreur.

Mise à jour de cette correspondance (16 janvier 2021)
Peu de temps après la publication de cette page, j’ai reçu de Liger un message me transmettant une réponse de Picouly, à lui adressée. Tout en la jouant grand seigneur, Picouly refuse de reconnaître que Laferrière a fait une fausse citation du « Code noir », et lui-même à sa suite.
Pour noyer le poisson, il fait étalage de sa grande érudition sur le sujet, en me renvoyant de façon condescendante à deux publications :
« Le Code Noir a donné lieu à une littérature considérable, quant à ses objectifs, son origine, sa rédaction et sa mise en œuvre. Je ne citerais [sic] pour ce qui me concerne que l’étude parue dans le Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe dans son n° 157 de septembre-décembre 2010 Les « Questions ridicules » : la nature juridique des esclaves et cultures aux Antilles d’André Castaldo. Il rend un état très scrupuleusement [sic], sous l’angle juridique, des débats, controverses et polémiques suscités par Le Code Noir.
Que chacun s’il le souhaite aille y voir. »
Il s’imagine que je vais passer des heures à trouver ces deux ouvrages, puis à les lire ? Alors que ce que je lui demandais, c’est de comparer ce qu’a écrit Laferrière avec un article d’un texte que je lui fournissais !
Un Picouly ne saurait s’abaisser, devant un quelconque manant, à reconnaître qu’un Laferrière a tort.

Pages de ce blog relatives au « Code noir »

Quelques articles notables de l’édit de 1685, dit « le Code noir 1685 »
« II. Tous les Esclaves qui seront dans nos Isles, seront bâtisés et instruits dans la Religion Catholique, Apostolique et Romaine. Enjoignons aux Habitans qui achèteront des Nègres nouvellement arrivés d’en avertir les Gouverneur et Intendant* desdites Isles dans huitaine au plus tard, à peine d’amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et bâtiser dans le temps convenable. »

« XLIV. Déclarons les Esclaves être meubles, et comme tels entrer en la Communauté, n’avoir point de suite par hypothèque, et se partager également entre les cohéritiers sans préciput, ni droit d’aînesse ; n’être sujets au douaire Coutumier, au Retrait Féodal et Lignager, aux Droits Féodaux et Seigneuriaux, aux formalités des Décrets, ni aux retranchemens des quatre Quints, en cas de disposition à cause de mort, ou testamentaire. »

« LVII. Déclarons les affranchissemens faits dans nos Isles, leur tenir lieu de naissance dans nos isles, et les Esclaves affranchis n’avoir besoin de nos Lettres de naturalité, pour jouir des avantages de nos Sujets naturels dans notre Royaume, Terres et Pays de notre obéissance, encore qu’ils soient nés dans les Pays étrangers. »

« LIX. Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres : voulons que le mérite d’une liberté acquise produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres Sujets. »



Création : 14 décembre 2020
Mise à jour : 16 janvier 2021 (une pseudo-réponse de Picouly)
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Question d’histoire
Page : QH 94. Portrait de Daniel Picouly en faussaire de l'histoire
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2020/12/portrait-de-daniel-picouly-en-faussaire.html







vendredi 11 décembre 2020

QH 93. La mise en place du « collège unique » (1963-1975)

L'enseignement secondaire en France de la fin des années 1960 à la réforme Haby en 1975


Classement : enseignement secondaire ; premier cycle ; France ; collège unique




Un des points souvent critiqués dans le système d’enseignement français est « le collège unique ». Mais que critique-t-on au juste à travers cette notion qui est devenu un gimmick du prêt-à-porter médiatique, y compris de la part de quelqu'un qui fut un intellectuel, François Bayrou, avec son slogan « Collège unique, collège inique » (ce qu’on se marre !).

J’ai l’impression que beaucoup de gens, notamment journalistes même spécialisés, ne savent pas en quoi a consisté l'établissement du « collège unique », incluse dans ce qui est couramment appelé « réforme Haby », du nom du ministre de l’Éducation nationale sous la présidence Giscard d’Estaing à l'origine de la loi du 11 juillet 1975. Pour expliquer correctement les choses, il faut remonter une quinzaine d’années en arrière.

L'enseignement secondaire au début des années 1960 : lycées et CEG
Si on revient à cette époque un peu éloignée, mais pas tant que cela (pour ma part, je suis entré en 6ème en 1961), le système d'enseignement secondaire prolongeait celui qui avait été établi au cours du XIXème siècle avec :
1) les lycées, créés par Napoléon (mais issus des « collèges humanistes » de la Renaissance, révisés par les Jésuites et les Oratoriens sous l’Ancien Régime) qui scolarisant les élèves de la 6ème à la Terminale, mais comportaient aussi des classes de niveau primaire (« petits lycées ») logiquement appelées : 7ème, 8ème, jusqu’à la 11ème . Bien entendu, entraient aussi en 6ème au lycée des élèves issus de classes primaires « normales », celles des « écoles communales » (soumis jusque vers 1960 à l'examen d'entrée en 6ème). Dans les lycées, on pouvait apprendre le latin et le grec ancien et le choix de langues vivantes était plus ou moins varié (anglais/allemand en langue 1 ; anglais/allemand/espagnol, voire italien/russe) ; les professeurs étaient soit des agrégés, soit des certifiés (grade créé vers 1950)
2) l’ancien enseignement primaire supérieur : les Ecoles primaires supérieures d'avant la Seconde Guerre mondiale, dont le nombre avait été accru, étaient maintenant appelées « Cours complémentaires » ou, plus souvent, « Collèges d’enseignement général ». Les CEG s’arrêtaient à la 3ème ; ils ne proposaient pas le latin ni le grec ; le choix de langues vivantes était limité ; les professeurs étaient des PEGC (Professeurs d’enseignement général des collèges) bivalents, c'est-à-dire susceptibles d'enseigner deux disciplines séparées dans les lycées (français+histoire-géographie, français+anglais, etc.). Une bonne part des PEGC avaient commencé comme instituteurs juste après la guerre, mais les plus jeunes étaient désormais recrutés au niveau du DEUG (fin de la seconde année à l'université).
Noter que comme la scolarité obligatoire s’arrêtait à 14 ans, pas mal d’élèves n’allaient pas du tout dans l’enseignement secondaire, les écoles primaires ayant au delà du CM2 des classes de « fin d’études » qui pouvaient les emmener jusqu’à l’âge limite.

La réforme de 1963 : scolarité à 16 ans et CES
L’allongement de la scolarité à 16 ans signifie que tout le monde devra passer par l’enseignement secondaire, au moins le premier cycle (6ème-3ème).
Les élèves de premier cycle iront désormais dans un seul type d'établissement : les Collèges d’enseignement secondaire (CES), mais ils seront  répartis entre deux filières la filière 2 (classes de « type CEG ») et la filière 1 (classes de « type lycée »), chaque filière ayant ses professeurs attitrés (PEGC/agrégés et certifiés). C'est la première étape du collège unique : le regroupement spatial de tous les élèves de 11 à 15 ans.
Les premiers CES fonctionnent dès 1963 (personnellement, élève en 6ème-5ème du lycée Clemenceau de Nantes, j’ai été envoyé à la rentrée 1963 à l’annexe de la Colinière, qui débutait avec le statut de CES).
Des centaines de CES ouvrent de 1963 à 1975 (au moins un par canton) et au fur et à mesure, les classes de premier cycle des lycées ferment, ainsi que les CEG.
Vers 1975, la quasi-totalité des élèves de premier cycle sont regroupés dans les CES ; la répartition entre « type 1 » et « type 2 » ne se fait pas dès la 6ème, mais en 4ème , de sorte que des PEGC peuvent enseigner en 6ème et 5ème dans les mêmes classes que des certifiés voire des agrégés (normalement en lycée, mais il y en a tout de même en collège).

La réforme Haby : le « collège unique »
Cette réforme est le prolongement logique de la réforme de 1963 : les deux filières sont amalgamées pour toutes les classes de CES (et un souci constant par la suite sera d'éviter de constituer des « classes de niveau », grâce aux options allemand et latin notamment).
Désormais, les deux corps professoraux, toujours séparés statutairement, peuvent enseigner dans toutes les classes de premier cycle. Quelques années plus tard intervient la décision de mettre fin au recrutement des PEGC ; le corps des PEGC va donc s’éteindre progressivement, au fur et à mesure des départs à la retraite.

Logique de la réforme Haby
En soi, cette réforme correspond à la tendance générale à reculer l’âge de la « sélection » : dans les CES, une sélection intervenait à la fin de la 5ème entre filière 1 (classique ou moderne) et filière 2 (moderne seulement ; les élèves de filière 2 étaient en principe destinés à l'enseignement professionnel ou technique, mais quelques uns pouvaient accéder au lycée général).
Que dirait-on actuellement si ces deux filières existaient encore ? Il est évident qu’il y aurait des « luttes » (acharnées) pour en obtenir la suppression ! La critique du collège unique est, dans son principe, injustifiable moralement, et peu justifiée factuellement.
En fait, ces critiques pavloviennes ne prennent pas en compte ce qu’était « le collège pas unique », dernier avatar du système objectivement inégalitaire qui venait du XIXème siècle.

Malgré tout, il y a sans doute lieu de lui faire des critiques
D’abord, pour des raisons factuelles : en premier lieu, la réforme Haby a été accompagnée, de façon illogique, puisque le principe était d’assimiler la filière 2 à la filière 1, par une réduction des moyens (c'est-à-dire du nombre d’heures d’enseignement) dans certaines matières (notamment le français).
Une autre raison factuelle a été dans les années 1980-2010  l'application d'un principe selon lequel, si on entrait au collège (hors des classes spéciales, les transitions, pratiques, SEGPA, etc.), il n'était pas question d'en partir avant la 3ème : d'où la suppression des classes de 4ème et 3ème technique (là encore, on applique l'idée louable moralement qu'il faut repousser la sélection à plus tard).
Ensuite, pour une raison de principe : la domination d'un antiélitisme en partie justifié, mais dont l'application systématique, voire dogmatique, a pu générer un certain nombre de problèmes (les mesures antiélitistes étant sources d'économies, elles bénéficient de l'appui inconditionnel des instances administratives). 
Enfin, pour une raison de politique éducative, mais l'erreur était difficilement évitable.
L’unification du collège par l'alignement disciplinaire de la filière 2 sur la filière 1 a été réalisée au détriment des PEGC, alors que ceux-ci, en tant que professeurs bivalents, étaient peut-être mieux adaptés à l’enseignement du niveau collège.
Peut-être aurait-il fallu réformer le corps des PEGC : tout en maintenant la bivalence, imposer un recrutement de niveau plus élevé que le DEUG dans les matières choisies et aligner le statut du corps (traitement et temps de service) au minimum sur celui des certifiés, voire plus : peut-être aurait-il fallu créer un corps de professeurs agrégés de collège, bivalents, mais avec un traitement aligné sur celui des agrégés. On aurait de vrais « professeurs de collège », qui ne pourraient pas être considérés comme des has been par certains jeunes professeurs certifiés (dans les années 1970-1980, un certain nombre de ceux-ci méprisaient les PEGC comme « profs au rabais », alors que les certifiés étaient eux-mêmes, au départ, des « profs au rabais » par rapport aux agrégés, mais cet aspect de l’histoire avait disparu de la conscience collective du corps).

Conclusion
Il est probable que le ce n'est pas « le collège unique » qui est la cause de tous les problèmes actuels de l’enseignement en France.

Note : les certifiés comme profs au rabais
Les certifiés étaient recrutés avec une licence, les agrégés avec une maîtrise (avant la masterisation du recrutement) ; les traitements et les temps de service sont différents (18 h de cours contre 15). Les certifiés et agrégés ont accès à toutes les classes secondaires ; en revanche, les classes préparatoires sont réservées aux agrégés.




Création : 11 décembre 2020
Mise à jour :
Révision : 2020
Auteur : Jacques Richard
Blog : Question d’histoire
Page : QH 93. La mise en place du collège unique (1963-1975)
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2020/12/la-mise-en-place-du-college-unique-1963.html







mercredi 18 novembre 2020

QH 92. Portrait de Jean-Marc Ayrault en faussaire de l'histoire

Quelques remarques sur un mensonge proféré par M. Jean-Marc Ayrault à propos de Colbert et du « Code noir »


Classement :




Ceci est un complément aux pages consacrées à « l'affaire Colbert », suscitée par une pétition promue en 2017 par les sieurs Sala-Molins et Tin (lien).
 
Références
*« Edit du Roi Touchant la Discipline des Esclaves Nègres des Isles de l'Amérique Française, donné à Versailles au mois de mars 1685 », publié dans Recueil d’édits, déclarations et arrests de Sa Majesté concernant l’administration de la Justice & la Police des Colonies françaises de l’Amérique, & les Engagés, Paris, MDCCXLIV (1744), page 81 et suivantes (ouvrage disponible sur le site Gallica (lien, vue 79 et suivantes).
*France Inter, Journal de 13 heures, 14 juin 2020
 
Circonstances
Le 14 juin 2020, dans le journal de 13 heures de France Inter, est évoquée la proposition faite par Jean-Marc Ayrault, « président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage », de supprimer à l’Assemblée nationale les références à Colbert, notamment une statue présente devant le Palais Bourbon (il y aurait aussi une « salle Colbert » à l’Assemblée).
 
Qui est Jean-Marc Ayrault ?
A venir
 
Texte
Dans l’argumentaire que développe M. Ayrault, se trouve notamment une phrase indiquant que « dans l’article 44 du Code noir, les esclaves sont considérés comme des meubles » (il a expressément fait référence à cet « article 44 »).
 
Développements
Ayant travaillé sur le sujet depuis 2017 (époque de la pétition Tin-Sala-Molins contre Colbert), je sais que dans l’édit de 1685, article 44, les esclaves ne sont pas considérés comme « des meubles », mais comme « des biens meubles », ce qui change la tonalité et la signification de la phrase.
J’ai décidé de demander des explications à M. Ayrault, et pour cela, j’ai envoyé (24 juin) un message assez général à la Fondation qu’il préside, resté à ce jour sans réponse.
Le 12 octobre, j’envoie un second message, en me concentrant sur un sujet unique : la signification du mot « meuble ».
Faute de réponse, j’envoie un troisième message le 7 novembre, qui ne suscite pas plus d’intérêt, ni de la Fondation, ni de M. Ayrault.
 
Analyse
Ce refus d’établir un dialogue est à la fois une discourtoisie et l’indication de la contradiction où se trouve la Fondation : personne ne peut démontrer que mon point de vue est erroné, mais il n’est pas question de mettre en cause la parole issue de la bouche présidentielle.
Mes messages ont-ils été transmis à l’intéressé ? Certainement pas tous, peut-être aucun. Cela n’exonère pas M. Ayrault de ses responsabilités.
 
Conclusion
J’estime donc qu’ayant proféré ce qui pourrait n’être qu’une inexactitude, M. Ayrault entre, du fait de l’attitude des employés de la Fondation ou du sien propre, dans la catégorie des FAUSSAIRES DE L’HISTOIRE.
Même s’il ne s’agit que d’un « point de détail » de l’histoire de l’esclavage, nul n’est autorisé à s’affranchir des règles de l’analyse historique afin de pouvoir produire un discours de propagande mensongère et de convergence avec des groupuscules fricotant autour de la question de l’esclavage dans les colonies françaises, phénomène historique condamnable, mais pas sur le fondement de MENSONGES CARACTÉRISÉS.
 
ANNEXES : trois messages adressés à la Fondation pour la mémoire de l’esclavage
Message du 24 juin 2020
Bonjour.
Je voudrais soumettre à M. Jean-Marc Ayrault quelques faits relatifs à Colbert :
*le premier édit concernant l'esclavage dans les colonies françaises date de mars 1685 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k84479z/f79.image.r=Code+Noir.langFR).
*la formule « Code noir » date, semble-t-il du XVIIIème siècle ;
*Colbert est mort en septembre 1683 ;
*le Colbert qui a signé l'édit de mars 1685 (page 101 de l'ouvrage que j'ai utilisé) est son fils Jean-Baptiste (1651-1690) ;
*cette signature vient après celle de « Louis » (XIV) ;
*à proprement parler, le seul auteur de l'édit est Louis XIV, seule autorité législative en France à l'époque.
En ce qui concerne le contenu de cet édit (le seul auquel il ait apporté une contribution, parmi tous ceux qui formeront ensuite le « Code noir », la qualification de « meubles » (article 44) ne signifie pas que les Noirs sont des meubles, mais que du point de vue du droit de propriété, ils font partie des « biens meubles » (d'où des conséquences notamment en matière d'héritage). Le fait essentiel (inadmissible pour nous, mais légal en France jusqu’en 1794 et de 1802 à 1848) est le statut de l'esclave comme propriété d'un autre homme, la qualité de "meuble" ne constituant pas une aggravation de cette condition.
Du reste l'article II stipule que  « Tous les Esclaves qui seront dans nos Isles, seront bâtisés & instruits dans la Religion Catholique, Apostolique & Romaine », ce qui indique clairement que, légalement, ces personnes noires « meubles » peuvent et doivent être chrétiennes et qu'elles ont donc une âme. Peut-on considérer comme « criminel » cet article (même s'il n'est pas en accord avec nos principes de liberté de conscience) ? Et que penser de l'article VI qui impose le repos du dimanche et des fêtes catholiques à tous, y compris aux esclaves ? Reprochera-t-on à Colbert le fait que cet article VI ne fut, éventuellement, pas respecté par les maîtres ?
Les choses ne sont pas si simples que certains le pensent (le CRAN en 2017) et que d’autres le disent de façon très vulgaire (Franco Lollia par exemple) ?
C'est pourquoi jE pense que la transformation de Colbert (1619-1683) en bouc émissaire du passé esclavagiste de la France ne relève pas de l'histoire, mais d'une rhétorique mémorielle superficielle, qui pourrait engager un processus dangereux. Je ne vois pas en effet pourquoi, après Colbert, on ne demanderait pas la tête de Louis XIV ; et si on a « donné » Colbert, au nom de quoi refuserait-on Louis ?
Habitant d’une commune proche de Nantes, j’ai toujours approuvé le travail de mémoire sur le passé esclavagiste de ce port, travail dont M. Ayrault a été un des promoteurs ; mais en ce qui concerne la mémoire de Colbert, j’avoue que je ne peux pas le suivre.
Jacques Richard
Professeur d'histoire-géographie retraité
 
Message du 10 octobre 2020
Bonjour.
Il y a quelques semaines, je vous ai adressé un courriel dans lequel je contestais la validité des déclarations que M. Jean-Marc Ayrault avait faites à propos de Colbert, dont il souhaite l’élimination d’au moins une statue.
Je n’ai pas eu de réponse à ce courrier ; aussi, je voudrais revenir sur un point précis de ces déclarations, qui me semble particulièrement important.
 
Una assertion inexacte
Il s’agit de l’assertion « Dans l’article 44 du Code noir, les esclaves sont considérés comme des meubles ». Entendant le mot « meubles », les auditeurs pensent à divers objets tels que « chaises », « fauteuils », « armoires », etc.
Pour ma part, j’estime que cette assertion est inexacte. En effet, si je prends l’article 44, non pas du « Code noir », mais de l’édit le plus ancien du Code noir, promulgué par Louis XIV en mars 1685, je lis : « Déclarons les esclaves être meubles ».
Il me semble que le mot « meubles » ne désigne pas ici des objets d’ameublement ; il s’agit d’un adjectif et la phrase signifie : « Nous déclarons que les esclaves sont des biens meubles », ce qui n’ajoute rien au scandale que constitue l’esclavage, dans lequel, par définition, un esclave est un « bien », la propriété de quelqu'un d’autre.
L’article complet le confirme : « Déclarons les Esclaves être meubles, & comme tels entrer en la Communauté, n’avoir point de suite par hypothèque, & se partager également entre les cohéritiers sans préciput, ni droit d’aînesse ; n’être sujets au douaire Coutumier, au Retrait Féodal & Lignager, aux Droits Féodaux & Seigneuriaux, aux formalités des Décrets, ni aux retranchemens des quatre Quints, en cas de disposition à cause de mort, ou testamentaire. »
Il s’agit clairement (si j’ose dire) de droit de la propriété, et non pas de considérations philosophiques sur ce que sont les esclaves.
D’autres articles montrent encore plus clairement que les esclaves sont considérés comme des êtres humains. Je cite notamment l’article 2
« Tous les Esclaves qui seront dans nos Isles, seront bâtisés & instruits dans la Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Enjoignons aux Habitans qui achèteront des Nègres nouvellement arrivés d’en avertir les Gouverneur & Intendant* desdites Isles dans huitaine au plus tard, à peine d’amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire & bâtiser dans le temps convenable. »
C’est pourquoi je pense que l’assertion de M. Ayrault est inexacte.
 
Ce que je demande à la Fondation pour la mémoire de l’esclavage
Je voudrais savoir quel est, sur ce sujet précis, le point de vue soutenu par la Fondation :
1) Êtes-vous d’accord pour reconnaître que l’article 44 de l’édit de 1685 ne dit pas que « les esclaves sont des meubles » mais que « les esclaves font partie des biens meubles » ;
2) Si ce n’est pas le cas, pouvez-vous me fournir les éléments qui fondent votre point de vue ?
Pour terminer, j’indique que, bien que viscéralement opposé à toute forme d’esclavage, passé ou présent, je pense qu’aucune cause, aussi bonne soit-elle, ne justifie (en temps de paix) qu’on énonce des inexactitudes pour la soutenir, même s’il ne s’agit que d’une seule inexactitude. A fortiori, si on énonce sciemment des inexactitudes, auquel cas il s’agit de mensonges.
J’ai constaté que l’idée selon laquelle « dans le Code noir, les esclaves sont des meubles » fait partie de la propagande de certains groupes (décoloniaux, indigénistes), parfois sous une forme doublement mensongère : « Pour le Code noir, les Noirs sont des meubles » (voir Marianne, n° 1229, 2 octobre 2020, page 52, photographie). Cela ne peut conduire qu’à une régression inadmissible de la vie intellectuelle, à un type de monde dans lequel l’exactitude n’a plus aucune importance.
Dans l’attente de votre réponse, je vous adresse mes cordiales salutations.
Jacques Richard
Professeur d’histoire-géographie
Auteur du blog Questions d’histoire
 
Message du 7 novembre 2020
Bonjour.
Je m’adresse pour la troisième fois à la « Fondation pour la mémoire de l’esclavage », à qui j’ai précédemment adressé deux courriers relatifs à une déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation, sur un projet de suppression de statue de Colbert.
Le premier (adressé par votre messagerie) date du 24 juin dernier.
Le second (adressé par email) date du 12 octobre dernier.
Aucun n’a reçu de réponse Vous trouverez ces deux messages en annexe.
Le sujet de mon second message était pourtant très précis : que pensez-vous de l’assertion de M. Jean-Marc Ayrault « Dans l’article 44 du Code noir, les esclaves sont considérés comme des meubles », alors que pour ma part, je pense que ce que dit le « Code noir » (en réalité l’édit de mars 1685 sur la condition des esclaves dans les colonies françaises), c’est « les esclaves sont caractérisés juridiquement comme des biens meubles », tout en étant par ailleurs considérés comme des êtres humains.
L’absence de réaction de votre part m’amène à penser que vous n’êtes pas en mesure de me prouver que j’ai tort, mais que vous ne souhaitez pas remettre en cause un « élément de langage » du discours antiraciste, qui est en fait un élément de propagande fondé sur un mensonge.
Comme je l’ai déjà indiqué, aucune cause, aussi bonne soit-elle, n’a le droit d’utiliser (comme M. Ayrault l’a fait) ou de cautionner (comme vous le faites par votre silence) des énoncés mensongers (hors d’un contexte de guerre, où toute propagande est permise). Cela contrevient à la tradition de rationalité et de libre examen qui fonde en définitive la lutte contre l’esclavage, autrefois comme aujourd'hui.
J’estime qu’en joignant sa voix à des groupes pour qui la vérité historique n’a aucune importance, M. Jean-Marc Ayrault a procédé à propos de l’article 44 de l’édit de mars 1685 à une falsification des données historiques à des fins de propagande de style décolonial/indigéniste.
Or, lorsqu’il est intervenu sur France Inter, radio sur laquelle je l’ai entendu, sa situation de président de la Fondation a été énoncée de façon explicite. Il est donc nécessaire de clarifier les choses : a-t-il parlé au nom de la Fondation, ou en son nom propre ? La fondation cautionne-t-elle cette falsification ?
En attendant une réponse de votre part, j’ai bien l’honneur de vous saluer.
Jacques Richard
Professeur d’histoire-géographie retraité
 
A venir
*Qu’est-ce au juste que la « Fondation pour la mémoire de l’esclavage » ?



Création : 18 novembre 2020
Mise à jour :
Révision :  24 novembre 2020
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH 92. Portrait de Jean-Marc Ayrault en faussaire de l'histoire
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2020/11/portrait-de-jean-marc-ayrault-en.html









mercredi 4 novembre 2020

QH 91. Sur un mensonge des décoloniaux, de leurs compagnons de route et autres idiots inutiles

Quelques remarques sur un mensonge de la mouvance décoloniale-indigéniste à propos du Code noir


Classement :




Ceci est un compléments aux pages consacrées à « l'affaire Colbert », suscitée par une pétition promue en 2017 par les sieurs Sala-Molins et Tin (lien).

Références
*Marianne, 2 octobre 2020, page 52 : photographie présentée dans le cadre d’un article de Rachel Binhas, « Les nouveaux maîtres censeurs »
*« Edit du Roi Touchant la Discipline des Esclaves Nègres des Isles de l'Amérique Française, donné à Versailles au mois de mars 1685 », publié dans Recueil d’édits, déclarations et arrests de Sa Majesté concernant l’administration de la Justice & la Police des Colonies françaises de l’Amérique, & les Engagés, Paris, MDCCXLIV (1744), page 81 et suivantes (ouvrage disponible sur le site Gallica (lien, vue 79 et suivantes).
 
Photographie : militante décoloniale arborant une pancarte didactique
Photo publiée dans Marianne
Détail

Présentation
Cette photo nous présente une militante décolonialiste (au regard doux, touchant) arborant une pancarte (artisanale) sur laquelle sont énumérées les preuves du « racisme d’État » qui prévaut en France, selon la doxa et la propagande de cette mouvance.
Je m’intéresserai seulement à la première « preuve » de cette liste :
« 1685 : Code NOIR
Homme NOIR = meuble »
 
Analyse : quelques inexactitudes
Cet énoncé de six mots contient au moins trois erreurs (pas mal !).
1ère inexactitude
La date de 1685, qui renvoie prétendument au « Code noir », correspond en fait seulement au premier édit promulgué sur la question de l’esclavage dans les colonies françaises, intitulé « Edit du Roi Touchant la Discipline des Esclaves Nègres des Isles de l'Amérique Française, donné à Versailles au mois de mars 1685 »
Or, à cette date, il n’était pas question de « Code noir », cette formulation n'est apparue qu’au XVIIIème siècle, pour désigner les recueils d'édits sur l'esclavage (dans la terminologie chère aux progressistes radicaux, genre Decoque et Laraire, le « Code noir » serait une fiction, un artefact, une construction éditoriale).
Cette erreur est la moins grave du lot, mais elle indique assez bien le rapport que la mouvance décoloniale entretient avec les faits historiques (c'est-à-dire avec les éléments textuels disponibles)..
 
2ème inexactitude
L’édit de 1685 n’établit pas de relation entre les concepts « homme noir » et « meuble », pour la raison qu'il ne parle pas des noirs, mais des esclaves. On peut donc y trouver une relation entre les concepts « esclave » et « meuble ». En effet, l’article 44 de l’édit de mars 1685 énonce : « Déclarons les esclaves être meubles ».
Bien sûr, les esclaves des colonies françaises étaient des noirs, des personnes originaires d’Afrique noire ou descendantes de personnes originaires d’Afrique noire déportées en Amérique. En revanche, tous les noirs vivant dans les colonies françaises n’étaient pas ipso facto des esclaves, puisque, notamment l’article 55 (« Les Maîtres âgés de vingt ans pourront affranchir leurs Esclaves par tous actes entre-vifs, ou à cause de mort, sans qu’ils soient tenus de rendre raison de leur affranchissement, ni qu’ils ayent besoin d’avis de parens, encore qu’ils soient mineurs de vingt-cinq ans) prévoit la possibilité d’affranchissement des esclaves. 
Et bien sûr, il y avait en Afrique de nombreux noirs libres, dont certains participaient de façon non négligeable à la traite transatlantique !.
 
3ème inexactitude
Elle réside dans le sens à donner au mot « meuble ». Ce que veut nous dire la pancarte de la militante décoloniale, ce dont elle veut que nous nous indignions, que nous nous scandalisions, c’est que « dans le Code noir, les noirs sont considérés comme des objets d’ameublement, des chaises, des tables, ou, d’une façon plus générale, des choses ».
La formulation de l’article 44 : « Déclarons les esclaves être meubles » laisse cependant planer un doute ; nous ne lisons pas « être des meubles », mais « être meubles ». Le mot « meuble » est ici un adjectif, pas un nom. Il ne se réfère probablement pas au sens restreint du mot « meuble » (pièce d’ameublement), mais à un sens plus ancien, qui existe toujours en français, quoique pas très courant lorsque le mot est employé seul : « ce qui peut être déplacé » par opposition à « ce qui ne peut pas être déplacé » (l’immeuble). Le mot « meuble » renvoie en fait probablement à une formulation juridique : « bien meuble ».
Si on lit l’article complet : « Déclarons les Esclaves être meubles, & comme tels entrer en la Communauté, n’avoir point de suite par hypothèque, & se partager également entre les cohéritiers sans préciput, ni droit d’aînesse ; n’être sujets au douaire Coutumier, au Retrait Féodal & Lignager, aux Droits Féodaux & Seigneuriaux, aux formalités des Décrets, ni aux retranchemens des quatre Quints, en cas de disposition à cause de mort, ou testamentaire.», la probabilité devient une certitude ; il ne s’agit pas de considérations philosophiques réduisant les esclaves (et non pas les noirs) à l’état de « choses », mais de droit de la propriété.
Par définition, l’esclave est un bien, un être humain qui est la propriété d’un autre être humain. Cela suffit pour que l’esclavage soit considéré (notamment par moi) comme scandaleux et inacceptable ; il est dès lors de peu d’importance que l’esclave soit considéré comme un bien « meuble », cela ne change rien à sa condition.
 
D’autres articles de l’édit de 1685 prouvent d’ailleurs que ses auteurs ne considéraient pas les esclaves comme des choses, mais comme des êtres humains. 
Je citerai l’article 2 : « Tous les Esclaves qui seront dans nos Isles, seront bâtisés & instruits dans la Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Enjoignons aux Habitans qui achèteront des Nègres nouvellement arrivés d’en avertir les Gouverneur & Intendant* desdites Isles dans huitaine au plus tard, à peine d’amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire & bâtiser dans le temps convenable.»
Il est évident qu’on ne peut baptiser et instruire dans la religion catholique que des êtres humains, pas des animaux ou des choses ! Bien sûr, on pourrait reprocher à l’édit de 1685 de priver les esclaves de leur liberté de conscience, mais cela s’appliquait à tous les sujets du roi de France, blancs ou noirs, dans les colonies comme en métropole.
 
Commentaires : inexactitude ou mensonge ?
Lorsqu’il y avait encore des militants communistes, beaucoup d’entre eux étaient des gens tout à fait honnêtes et serviables, qui énonçaient en toute bonne foi de nombreuses inexactitudes à propos de l’URSS, des dirigeants soviétiques, de Staline, etc. En revanche, les dirigeants du parti, qui étaient au courant de la situation réelle, proféraient des mensonges, parce qu’on ment lorsqu’on énonce sciemment une inexactitude.
La porteuse de la pancarte sur le racisme d’État est sans doute une brave militante décolonialiste, qui croit sincèrement à l’exactitude ce qui est écrit sur sa pancarte. On peut supposer qu’elle n’a pas pris la peine de lire le « Code noir », qu’elle transmet ce qui lui a été enseigné par des gens en qui elle a toute confiance. Elle a donc une part de responsabilité, mais on ne peut pas considérer a priori qu’elle ment, malgré son éventuelle appartenance à la Brigade anti-négrophobie (la légende de la photo n'est pas très claire sur ce point).
 
La mouvance décoloniale comporte aussi des calibres intellectuels de plus haut niveau, des gens qui ont été professeur d’université (Sala-Molins) ou élève à Normale Sup (Tin), qui savent certainement que dans l’article 44 de l’édit de 1685, « meuble » ne signifie pas « pièce d’ameublement » et que le mot « meuble » ne se rapporte pas aux « hommes noirs » (ni aux « femmes noires » du reste).
La preuve qu’ils le savent, c’est qu’ils n’emploient pas cet argument dans leur pétition de 2017 contre Colbert. Ils n’en portent pas moins l'entière responsabilité de la profération d’une inexactitude dont ils ont connaissance, d’un mensonge donc.
 
Le cas de Jean-Marc Ayrault
Les choses sont plus graves dans le cas de Jean-Marc Ayrault, qui a récemment utilisé l’argument du « meuble » dans sa diatribe contre Colbert. 
La question se pose : Jean-Marc Ayrault ment-il ou profère-t-il seulement une inexactitude ? Est-il un compagnon de route ou un idiot utile ?
Je pense que son bagage intellectuel de niveau universitaire (licence d'allemand) lui permet de comprendre, s’il a lu le texte de l’article 44, que « meuble » n’y signifie pas « pièce d’ameublement ». S’il ne l’a pas lu, s’il s’est fié à des informateurs peu honnêtes (Sala-Molins ?), il n’en est pas moins entièrement responsable de l’erreur qu’on lui aurait fait commettre.

A venir
*Jean-Marc Ayrault : mémoire de l'esclavage ou falsification de l'histoire ?



Création : 4 novembre 2020
Mise à jour : 9 novembre 2020
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Questions d’histoire
Page : QH91. Sur un mensonge des décoloniaux, de leurs compagnons de route et autres idiots inutiles
Lien : https://jrichardterritoires.blogspot.com/2020/11/du-mensonge-chez-les-decoloniaux.html